Les émeutes du mois de mai ont mis à terre un secteur agricole soumis à des crises successives. La profession se demande comment surmonter cette nouvelle épreuve.
Nourrir les populations est le sacerdoce des agriculteurs. Mais, depuis le 13 mai, l’incertitude a gagné les esprits. « À quoi va ressembler le marché en 2025 ? Combien de personnes vont quitter le territoire ? Quel sera le pouvoir d’achat de ceux qui vont rester ? Est-ce que les magasins vont se remonter ?, s’interroge Jean-Christophe Niautou, le président de la Chambre d’agriculture et de la pêche. Beaucoup de questions auxquelles on doit répondre et, à l’instant T, je n’ai aucune réponse. »
Le monde agricole conserve une place à part dans l’économie. Selon le dernier rapport annuel économique de l’Institut d’émission d’outre-mer (IEOM), en 2022, le secteur emploie 1 762 salariés en moyenne, soit 2,6 % de l’emploi salarié privé et 2,2 % de la valeur ajoutée. Une présence qui ne se retrouve pas dans l’assiette des consommateurs. D’après le Mémento agricole 2022 de la Direction des affaires vétérinaires, alimentaires et rurales, un Calédonien consomme en moyenne 17,5 kg de fruits et légumes par mois, dont 67 % sont des produits frais importés.
RÉSISTER ET S’ADAPTER
La volonté d’une autosuffisance alimentaire est mise à mal par la succession de crises que traverse le monde agricole depuis de nombreuses années : Covid, guerre en Ukraine, La Niña, sécheresse… Les émeutes du 13 mai ajoutent de nouvelles difficultés avec des productions retardées ou perturbées et une commercialisation entravée.
La crise économique et sociale ramène également de nombreux Calédoniens vers la terre nourricière. « Les marchés étant fluctuants, on a du mal à avoir une visibilité fine sur les besoins. Le fait que les flux sont devenus pour partie non officiels pose des difficultés d’arbitrage pour la régulation des importations et l’écoulement des productions locales », observe Julien Barbier, directeur adjoint de l’Agence rurale.
Face à toutes ces interrogations, le monde agricole doit résister et s’adapter : nouveaux modes de production, commercialisation innovante, transformation des produits… « On est à la croisée des chemins, estime Julien Barbier. Cette crise a mis encore plus en exergue le besoin d’une vraie mise en cohérence des filières, depuis l’amont jusqu’à l’aval. » Une occasion aussi de revoir les relations avec la grande distribution, jugée déséquilibrées par certains pour l’établissement des prix.
Une énième interrogation se porte sur l’agriculture biologique alors que la Nouvelle-Calédonie a déclaré en septembre l’urgence climatique et environnementale. En 2023, 201 productions étaient labellisées Bio Pasifika pour un volume de 406 tonnes. « L’association Bio Calédonia, qui s’occupe de la labellisation, a un financement majoritairement public. Notre modèle repose sur l’implication des adhérents, qui sont accompagnés par une équipe salariée pour garantir un système de labellisation fiable », explique Franck Soury-Lavergne, le président de la structure.
Une baisse des subventions inquiète l’association. « Ce serait dommage de casser cet élan. L’agriculture est une priorité comme levier économique et, vu le changement climatique, son évolution passe par le développement du bio. » Le monde agricole et ses représentants plantent de nombreuses graines afin de garantir leur pérennité. Ils sont impatients d’en récolter les fruits.
Fabien Dubedout