Frappé par les péripéties politiques nationales, le processus législatif du projet d’accord de Bougival, signé le 12 juillet dans les Yvelines, a très peu de chances de survivre.
Et, à la fin, rien ne se passe comme prévu ! Malgré le désaveu par le FLNKS de sa délégation, conduite par Emmanuel Tjibaou, signataire du « projet d’accord de Bougival » du 12 juillet dernier et l’affirmation de son rejet « total » de ce texte, le ministre sortant des Outre- mer, Manuel Valls, a continué à espérer en son aboutissement. La publication au Journal officiel de la République française, le 6 septembre, de l’accord de Bougival – sans la liste des signataires –, conférait à ce document le statut juridique d’acte de gouvernement, ouvrant ainsi la voie à un processus législatif et constitutionnel qui devait mener à l’approbation – ou non – de l’accord politique « avant le 28 février 2026 » par les électeurs calédoniens.
Mi-août, Manuel Valls et son équipe effectuaient un nouveau déplacement en Nouvelle-Calédonie pour installer le comité de rédaction du projet de loi constitutionnelle (PJLC) transcrivant l’accord de Bougival. Au même moment, six des huit présidents de groupe du Sénat déposaient une proposition de loi organique (PPLO) « visant à reporter le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie pour permettre la mise en œuvre de l’accord du 12 juillet 2025 », au plus tard le 28 juin 2026, soit une prolongation de mandat, après plusieurs reports, de plus de deux ans par rapport à la date initiale de renouvellement des assemblées de province. Faute d’adoption de ce texte, ces élections devaient se tenir au plus tard le 30 novembre prochain.
CALENDRIER SERRÉ
La machine est sur les rails. Premier temps : le report des élections provinciales ; deuxième temps : l’adoption de la révision de la Constitution ; troisième temps : son approbation par voie de référendum sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie ; quatrième temps : les élections provinciales déterminant la composition d’un nouveau Congrès qui adopterait la Loi fondamentale de la Nouvelle-Calédonie. Le calendrier est serré.
Le Sénat a inscrit l’examen de la proposition de loi à l’ordre du jour d’une session extraordinaire qui devait s’ouvrir le 23 septembre. Las, la mise en minorité du Premier ministre, François Bayrou, après avoir demandé un vote de confiance à l’Assemblée nationale le 8 septembre et se l’être vu sèchement refuser, le contraint à la démission, balayant par la même occasion l’agenda parlementaire. Manuel Valls continue néanmoins à croire en une voie de passage après la nomination de Sébastien Lecornu au poste de Premier ministre. L’exécutif et les présidents des deux chambres sont alignés pour activer un calendrier parlementaire qui permette la promulgation « ric-rac » de la PPLO avant la date limite du 2 novembre de convocation des électeurs pour les élections provinciales si celles-ci devaient se tenir avant le 30 novembre.
DÉBATS MOINS FEUTRÉS
Ainsi, alors que le nouveau Premier ministre devait prononcer sa déclaration de politique générale (DPG) le 7 octobre à l’Assemblée nationale et le lendemain au Sénat, celui-ci devait décider, lors d’une conférence des présidents qui se serait tenue mardi 7 octobre, d’inscrire la PPLO à l’ordre du jour de la séance publique immédiatement après la DPG. Elle aurait alors dû être adoptée sans difficulté et transmise à l’Assemblée nationale qui l’aurait examinée en urgence dès la semaine suivante. Les débats risquaient néanmoins d’y être moins feutrés qu’au Palais du Luxembourg.
La France insoumise et les Écologistes, relayant les positions du FLNKS, sont opposés à ce report, le groupe Gauche démocrate et républicaine, dont Emmanuel Tjibaou est membre, également. Le député, et patron de l’UC, a d’ailleurs considéré, dans un courrier du mardi 7 octobre cosigné par le sénateur Robert Xowie, que « le caractère d’urgence attaché à la situation calédonienne ne saurait en aucun cas justifier un passage en force, ni le contournement du dialogue politique ». Lors de la dernière conférence des présidents, le président du groupe GDR, Stéphane Peu, a qualifié la PPLO sur le report des provinciales de « loi hostile ». Les députés socialistes, quant à eux, ne sont plus tout à fait convaincus de son urgence. Quant au Rassemblement national, il n’est pas empressé d’apporter son soutien au processus de Bougival, que Marine Le Pen juge « ambigu ».
Même si le texte avait été validé, en urgence, par le Conseil constitutionnel, la promulgation de la loi avant le 2 novembre restait acrobatique. La démission dès lundi matin du Premier ministre, Sébastien Lecornu, entraînant celle de son gouvernement composé la veille, remet tout en question. Le calendrier sera impossible à tenir. Le Sénat a même annulé la conférence des présidents qui devait se tenir mardi. Donc, pas d’inscription de la PPLO à l’ordre du jour. Quant au PJLC, qui devait être présenté en Conseil des ministres dès cette semaine, après que le Conseil d’État a rendu un avis globalement favorable, mercredi 1er octobre, il est, lui aussi, renvoyé dans les limbes.
Force est de l’admettre : Bougival est mort, victime des errances de la politique hexagonale. Persister à vouloir le faire passer à toute force relèverait de l’acharnement thérapeutique. Les élections provinciales devront être organisées avant le 30 novembre et la Nouvelle-Calédonie va devoir compter sur elle-même avant tout. Il reviendra au nouveau Congrès issu de ce scrutin de reprendre le chemin de la concertation. Sur la base de Bougival, car il serait insensé de balayer d’un revers de main les six mois d’intense travail et de discussions qui l’ont précédé et les voies esquissées. Mais ce ne sera plus Bougival.
À Paris, Patrick Roger

