[DOSSIER] La Monique : Le douloureux souvenir des familles

Loyauté (voyage n°7-Côte Est)

La tragédie a touché beaucoup de Calédoniens. Des Îles à la Grande Terre, de nombreuses familles ont perdu un proche en 1953. Les 69 ans qui les séparent du naufrage n’atténuent pas ce passé douloureux. 

La Monique n’a pas emporté que 126 passagers. Cette tragédie a laissé derrière elle des enfants, des frères, des soeurs, des parents. Des Calédoniens des Loyauté et des côtes Est et Ouest qui partagent la mémoire de ce drame.  À Hienghène, Paul Bouanehotte a perdu un frère. « Il était plus vieux que moi, je ne sais pas où il est passé », témoigne-t-il. Antonin Bouahehotte n’avait que 23 ans.

Sa disparition a été enfouie jusqu’à ce que Jean-Mathias Djaïwé s’y intéresse, à la demande du comité de pilotage qui coordonne les prochains anniversaires du naufrage de la Monique. « Sur la côte Est, la mémoire de la Monique est restée au sein des familles, avec beaucoup d’interrogations. Il se racontait que les disparus étaient au Japon ou dans un autre pays, explique le directeur du centre culturel de Hienghène. Les souvenirs ne voulaient pas remonter, c’était trop chargé pour en parler. »

Le jeune Antonin vivait à Lifou depuis quelques années. Il était monté à bord du caboteur pour participer à un match de football à Nouméa. « Sa famille avait mis ces souvenirs dans un coin du cerveau, ils sont remontés avec beaucoup d’émotion », poursuit Jean- Mathias Djaïwé.

En commun 

À Bourail, Charles Ohlen n’avait que trois ans lorsqu’il a perdu son père, capitaine du navire, et sa mère qui l’accompagnait. Ses parents étaient âgés d’une vingtaine d’années. Charles Ohlen a hérité du prénom et du nom paternels, sans connaître véritablement son père sauf à travers les lettres que son oncle a conservées. « Il voulait arrêter depuis un an, il ne supportait plus les conditions de travail, retrace-t-il. Ses parents lui répondaient qu’il devait travailler pour s’occuper de ses enfants. »

Ses grands-parents parlaient très peu de la Monique. « Ils sont restés dignes et se sont repliés sur eux-mêmes », raconte le septuagénaire. Dans sa commune, d’autres familles touchées n’en ont jamais parlé. La municipalité envisage de les rassembler pour commémorer le 69e anniversaire du drame.

Sur la côte Est, Jean-Mathias Djaïwé doit rencontrer d’autres proches de disparus pour filmer et retranscrire leurs témoignages inédits. Charles Ohlen regrette cette « chappe de plomb » au-dessus d’un accident qui « a choqué et interroge toujours » les Calédoniens. « J’ai l’impression que cet événement tragique n’a pas été considéré sur la Grande Terre. Il n’y a pas de stèle à Nouméa, déplore-t-il. Les habitants des îles ont, eux, pris la mesure du drame et l’ont commémoré. »

Avec le temps, l’orphelin ne souhaite plus qu’une seule chose : la prise en compte de ce souvenir par tout le monde. « Tous les couches de la société ont été touchées. À l’époque, c’était tout petit la Nouvelle-Calédonie, tout le monde se connaissait et se côtoyait, assure-t-il. Cette douleur nous a tous touchés. » Charles Ohlen aimerait que la disparition des 126 passagers de tous horizons contribue à « l’unité du pays ». Le grand mystère et les rumeurs « farfelues » qui entourent le drame ne doivent pas occulter cette page de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie.

Brice Bacquet

© Collection L.G. Viale

Charles Ohlen a officié comme second sur le Loyauté, avant de devenir capitaine de la Monique.

©B.B.

La liste mentionne les disparus dans cet ordre : les membres d’équipage, les passagers européens, les personnes originaires de Maré, d’Ouvéa, de Lifou et de la Grande Terre.