Le président de la République privilégie la piste d’un accord global entre Calédoniens, intégrant l’épineuse question du corps électoral. Mais l’opposition au dégel a remusclé le combat de militants indépendantistes.
En visite à Bayonne mardi 21 mai, l’ancien Premier ministre Édouard Philippe, avancé comme possible médiateur par des élus calédoniens, s’est vivement intéressé au proche déplacement du chef de l’État sur le territoire. « J’espère que les annonces du président Macron seront à la hauteur de la situation », a insisté le patron du parti Horizons, selon l’AFP. « La situation est terriblement triste et dangereuse. La France, qui a une relation compliquée à son histoire coloniale, a une possibilité de trouver une solution originale, même si c’est plus difficile qu’il y a trois mois. »
Le passage éclair du président de la République à Nouméa jeudi 23 mai n’a pas réservé de déclarations surprenantes. Le locataire de l’Élysée a installé la mission du dialogue, tracé les contours du programme économique de reconstruction, souligné l’accroissement des inégalités sociales malgré la volonté de rééquilibrage…
Sur le plan purement politique, la copie n’est pas si éloignée du courrier remis le 15 mai, après l’adoption par l’Assemblée nationale du projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral provincial. Emmanuel Macron avait initialement signalé qu’en l’absence d’accord, le Congrès de Versailles serait convoqué avant fin juin pour la validation définitive du texte. « Je me suis engagé à ce que cette réforme ne passe pas en force aujourd’hui dans le contexte actuel, et que nous nous donnions quelques semaines afin de permettre l’apaisement, la reprise du dialogue en vue d’un accord global » a indiqué, au terme des échanges, le visiteur, au haut-commissariat, qui a appelé « en particulier le FLNKS et la CCAT » à lever les barrages.
Tenu par l’espoir de voir les discussions politiques reprendre, le président de la République fera « d’ici un mois maximum un point d’étape pour regarder en conscience les choses et prendre des décisions sur la suite institutionnelle à donner ».
« RÉFORME ABANDONNÉE »
Peu après son intervention à Nouméa, l’évocation d’un référendum national sur le sujet du dégel du corps électoral provincial a provoqué un tollé et une incompréhension sur le territoire. La déclaration vécue comme une nouvelle maladresse, voire un coup de pression et une provocation, aurait pu être évitée. Il s’agit là d’une « lecture de la Constitution, pas d’une intention », a assuré le chef de l’État, en déplacement en Allemagne.
Son déroulé sous conditions définit clairement un tempo. Vu la charge de travail et surtout le contexte d’exercice, ce calendrier peut-il être respecté ? Pour Philippe Gomès, le projet sur le dégel est tout d’abord compromis, « la réforme est techniquement abandonnée », a même affirmé le fondateur de Calédonie ensemble sur la chaîne BFMTV. « Puisque ce n’est pas au mois de juillet, pendant les Jeux olympiques, que le Parlement va être réuni en Congrès à Versailles, et ce n’est pas au mois d’août non plus. »
La quête d’un accord global sur l’organisation institutionnelle est privilégiée, ce qui renverrait l’examen du dossier à Paris à septembre ou octobre et, du coup, pourrait reporter les élections provinciales prévues à l’origine d’ici le 15 décembre 2024.
PRESSION
Si les politiques semblent s’inscrire dans la voie ouverte par la mission du dialogue, la contestation, elle, perdure sur le terrain. Le spectre de la revendication s’est même élargi. L’opposition au dégel du corps électoral a reboosté le combat pour l’indépendance. « On va maintenir un niveau de pression pendant le mois de la mission de médiation », parce qu’« il faut aller chercher Kanaky », soutient, dans une bande-son circulant sur le territoire, un homme présenté comme « Bichou », Christian Tein, le porte-parole de la CCAT.
L’USTKE, membre du collectif, appuie ce message avec le slogan « Tout est négociable, sauf l’indépendance. » Le FLNKS, lui, « demande à desserrer l’étau sur les principaux axes de circulation » et appelle à des décisions prises « dans le consensus » avec l’État. Une autre dimension s’est exprimée sur les barrages, à Rivière-Salée ou à Dumbéa. Des militants exigent « la fin de ce système économique » et du « capitalisme », sources selon eux de division et d’inégalités. Jusqu’où ira la méthode Macron ? Telle est désormais la question.
Quel accord global ?
Le président de la République Emmanuel Macron a précisé à Nouméa des points devant figurer dans l’accord global recherché : la question du corps électoral et du dégel, l’organisation des pouvoirs « avec des éléments de simplification indispensables entre le gouvernement et les provinces en particulier », la répartition des sièges au Congrès, la citoyenneté, le nouveau contrat social – notamment « la manière de régler les inégalités économiques mais aussi les inégalités femmes-hommes », – l’avenir économique – la diversification et le nickel « avec des pistes d’évolution pour les usines à court, moyen et long terme » – et le scrutin d’autodétermination. La volonté du chef de l’État est que cet accord global intègre la Constitution.
Yann Mainguet