Qui ne connaît pas dans son entourage familial, professionnel, amical, une personne, une famille, qui a décidé de quitter la Nouvelle-Calédonie conséquemment aux émeutes du mois de mai et à la crise économique, sociale et sociétale qu’elles ont engendrée ? Par peur, par manque de perspectives, dans un pays déjà fragilisé par la mise en sommeil de KNS en février.
Ces gens qui partent sont des Métropolitains installés depuis plusieurs années, mais aussi, de manière plus surprenante, des Calédoniens natifs, décidés à refaire leur vie loin de cette violence qu’ils craignent de voir ressurgir un jour. « On peut s’y attendre, en période de crise. Avec les événements, il y a plus de gens qui sont partis que de gens qui sont arrivés. Le solde migratoire est affecté et on devrait demeurer négatif encore quelques années », analyse Gilles Pestana, maître de conférences en géographie à l’Université de la Nouvelle-Calédonie.
L’aggravation d’un processus entamé en 2014 ? Il y a dix ans, le solde migratoire cessait d’être positif. Selon le recensement 2019, l’archipel perdait en moyenne 2 000 habitants par an, soit 10 000 en cinq ans. Mais « il faut faire attention aux estimations actuelles parce qu’on manque d’outils de mesure, préconise Gilles Pestana. C’est parfois un peu exagéré. Je pense que c’est moins massif qu’on le prétend ».
UNE TENDANCE PROVISOIRE ?
Et il y a ceux qui migrent en interne. Retours en tribu, en Brousse ou dans les Îles, déplacements au sein de l’agglomération pour se rapprocher de Nouméa, après avoir trop souffert des barrages, en particulier les Mondoriens du Sud. « Il y aura peut-être une petite redistribution au niveau des quartiers et des communes, mais cela devrait rester marginal. »
Et la tendance pourrait s’avérer provisoire, considère le spécialiste des questions démographiques. « Ce n’est sans doute pas définitif, on ne sait pas combien de temps ceux qui ont bougé mettront avant de revenir, par exemple pour la rentrée 2025. Ce qu’il s’est passé risque d’être effacé dans quelques mois et ne devrait pas changer les équilibres géographiques. Quoiqu’on en pense, l’activité principale reste à Nouméa. »
Ces deux phénomènes, migrations externes et internes sont difficiles à quantifier. En revanche, plusieurs indicateurs témoignent de leur réalité. À la tête de la société de déménagement AGS, Noël Jourdan raconte l’évolution de son activité. « Entre janvier et fin octobre, nous avons déjà atteint 1 000 dossiers quand, en temps normal, nous sommes entre 700 à 800 par an. » Le directeur a fait ses calculs. Au regard du nombre de dossiers traités et de la part de marché, il estime que « 8 000 personnes environ ont quitté le territoire ». En 2024, « AGS réalise + 30 % » de déménagements, « à 80 % vers la Métropole et à 20 % vers les DOM-TOM ».
À l’aéroport de La Tontouta, vu le nombre de passagers munis d’un billet aller simple, la Chambre de commerce et d’industrie table sur une perte de 10 000 personnes d’ici la fin de l’année. EEC a perdu 1 087 clients entre les mois de mai et septembre. Enercal déplore 800 résiliations sur la période (jusqu’à fin octobre).
Des raisons expliqueraient en partie cette baisse, selon les opérateurs électriques. Des clients se mettent en colocation, emménagent chez des membres de leur famille ou changent de commune de résidence. Les conséquences de ces mouvements se font déjà sentir. Baisse des recettes fiscales, de la consommation, chute du nombre de médecins et de professionnels de santé, perte de compétences professionnelles…
REPORT DU RECENSEMENT
L’État a décidé de prendre en compte ces évolutions dans le projet de loi de finances 2025. Le ministre des Outre-mer, François-Noël Buffet, a annoncé le dépôt d’un amendement visant à reporter le recensement, initialement prévu cette année, à fin 2025. D’une part, parce qu’il est « impossible à réaliser dans les conditions actuelles », mais surtout afin « de stabiliser les dotations des communes ».
Cette crise qui secoue la Nouvelle-Calédonie va durer. Des mois, des années peut-être. Mais elle va se terminer, juge l’enseignant-chercheur à l’UNC depuis 22 ans. « Le solde migratoire redeviendra positif. Le jour où on attirera des migrants, il y aura un cercle vertueux qui pourra s’enclencher entre croissance économique et croissance démographique. L’immigration apporte aussi le dynamisme, c’est un levier important du redressement faute d’une croissance naturelle suffisante. »
Anne-Claire Pophillat