[DOSSIER] La classe politique mise en cause

Les messages d’opposition au dégel du corps électoral provincial s’affichent sur différents supports. (© Y.M.)

Les critiques sont entendues sur les barrages ou dans les foyers. Les politiques calédoniens de tout bord sont accusés d’avoir emmené la Nouvelle-Calédonie dans le mur en raison de leurs positions rigides, leurs calculs et leurs propos excessifs.

À Rivière-Salée, après quelques pas derrière la carcasse d’une voiture brûlée, un jeune du quartier, militant au drapeau FLNKS sur le tricot, livre une confidence. « Ça suffit, il faut virer les têtes du Congrès. » Au mont Vénus, posté près d’un tas de planches de bois, un voisin vigilant affiche un ras-le-bol. « Dis-moi, ils nous ont amenés où, les politiques, là ? » Les émeutiers cassent et pillent. Intolérable.

Des deux côtés de la barricade, des voix s’élèvent et pointent la responsabilité non seulement de l’État, mais aussi des élus non indépendantistes comme indépendantistes dans ce naufrage politique, social et économique. Pour n’avoir pas su entendre, anticiper, pour être restés passifs ou avoir distillé des mots haineux et, du coup, pour être allés droit dans le mur de l’affrontement. « Le “nous”, le vivre ensemble, l’entraide existent dans les villages, le sport, les entreprises…, explique, agacée, Marion, une Calédonienne fonctionnaire. À chaque fois, c’est le politique qui vient foutre le bordel. »

Des épisodes ont tout particulièrement fait monter la colère déjà élevée chez les victimes des conséquences directes ou indirectes des émeutes. La communication de la CCAT, dont l’Union calédonienne est un moteur principal, a navigué entre des messages d’« apaisement », de « respect des consignes » et des termes de « combat » pour « l’avènement de la République de Kanaky ». Le tout ponctué de codes sur la mobilisation de niveau 2, 2,5… Incompréhensible.

En outre, le communiqué signé par l’UC-FLNKS et Nationalistes, les Loyalistes, le Rassemblement, l’Éveil océanien sur… « la poursuite des discussions dans le cadre de l’initiative calédonienne », tombé comme par magie le soir du mercredi 15 mai après les premiers embrasements, a irrité, parce que des mois se sont écoulés sans véritable dialogue, ni avancées concrètes rendues publiques. Le démenti de l’UNI, publié illico, sur l’utilisation de ses insignes en bas du document, a fait virer l’opération au ridicule.

« LA BIPOLARITÉ, UNE RENTE »

Fait exceptionnel, le dimanche de la Pentecôte, monseigneur Michel-Marie Calvet s’est exprimé directement aux politiques dans son homélie. « Tant de propos politiques sont disqualifiés. Ils ne sont plus audibles, crédibles. » Ainsi, « exigeons de nos élus une obligation de résultat pour un avenir partagé de paix et de concorde, de fraternité perdue et retrouvée ».

Président du mouvement Construire autrement, Joël Kasarhérou a pris lundi 20 mai une plume trempée dans l’exaspération : « les élus en place, qui portent une lourde responsabilité qu’ils devront assumer, doivent éviter de cultiver les sentiments de vengeance, de haine, de division ou de “foutre le bordel” pour continuer à exister dans la bipolarité qui constitue leur rente… Le temps des élections ne peut chevaucher celui de la détresse et du sentiment d’abandon des citoyens ».

Par ailleurs, deux pétitions en ligne sur la plateforme change.org, qui demandent la démission pour l’une de la présidente de la province Sud Sonia Backès et pour l’autre de tous les politiciens de Nouvelle-Calédonie, récoltent des signatures.

Les intéressés sont-ils conscients de ce malaise ? Devant les médias mardi 21 mai, le député Les Loyalistes Nicolas Metzdorf a mentionné « une défaillance des Renseignements », alors que le parlementaire et ses collègues ont mis en avant pendant des semaines leur lien direct avec le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin. « Nous, nous ne nous sommes jamais faits déborder », ajoute le membre Renaissance de l’Assemblée nationale qui estime qu’au final, « les électeurs choisiront. S’ils considèrent que la classe politique est fautive, ils la sanctionneront ».

Pour Daniel Goa, président de l’Union calédonienne, la remise en cause du politique est compréhensible dans ce genre de situation extrême, parce que « les gens ne voient pas les élus sur le terrain ». Le rejet de ces personnalités, « c’est un risque qu’il faut mesurer », appuie le leader indépendantiste, interrogatif. « Et à la place, qui met-on ? »

Les reproches des habitants, entendus ici et là, ciblent des élus accusés d’être trop absents, menteurs, manipulateurs, déconnectés… Ces mêmes représentants qui forment la classe politique. La colère renforce un désamour déjà amorcé. Pour restaurer la confiance entre les partis et la population, faut-il changer des pions sur l’échiquier ? Un temps de reconstruction est primordial avant l’organisation des élections provinciales.

 


MILICES : UN DÉBAT

« Si le haut-commissaire a parlé de milices, il n’y a pas de milices », a assuré devant les médias la présidente de la province Sud et cheffe de file des Loyalistes, Sonia Backès. Uniquement des voisins vigilants donc. Des armes circulent néanmoins tant du côté des émeutiers que de particuliers soucieux de protéger leur maison. Des hommes en possession d’un fusil ont été vus dans
la Vallée-du-Tir, mais aussi du côté du quartier de Sainte-Marie. Des instructions pour véhiculer une image plus positive que celle relayée dans les médias ont circulé.

Yann Mainguet