La perte des surfaces de vente et la baisse du pouvoir d’achat obligent les producteurs à diversifier leurs lieux de distribution. Les consommateurs se tournent bien volontiers vers les marchés de proximité, ce qui conforte la chambre d’agriculture et de la pêche dans sa stratégie « Mangeons local ! », explique son président.
DNC : Les marchés connaissent un certain essor. Comment expliquez-vous cette dynamique ?
Jean-Christophe Niautou : Pendant le Covid, puis mai 2024, l’arrêt des importations, le blocage des routes ont fait émerger la nécessité d’avoir une production locale, des circuits courts. Après les émeutes, durant deux mois environ, heureusement qu’il y avait cette production. Les marchés existants ou créés ont permis d’approvisionner la population.
Que reste-il de cette dynamique ?
La crise a été un accélérateur, qui nous a confortés dans notre objectif de faire évoluer les circuits courts. Aujourd’hui on a plusieurs marchés qui fonctionnent très bien : Ducos, Dumbéa, La Foa, Bourail, et Voh qui redéveloppe le sien. Les communes du Grand Nouméa nous sollicitent pour redynamiser leurs marchés. L’objectif est de remettre les producteurs au cœur de ces marchés, via notre réseau.
Pourquoi avoir ouvert un marché supplémentaire le mercredi après-midi
à Ducos ?
Le marché du samedi matin est bondé et saturé. On a 80 places et toujours 10 exposants qui restent sur le carreau. Nous avons donc lancé un créneau le mercredi après-midi. Nous avons eu 21 exposants la première semaine, 52 la deuxième et 1 327 visiteurs ! C’est une vraie réussite quand on sait que le samedi matin on a environ 3 000 personnes [jusqu’à 5 000, les week-ends de paye]. Cela montre une forte demande. Les pêcheurs professionnels ‒ on en a 5 à 6‒ sont ravis : ils vont pêcher le matin et vendent l’après-midi dans un marché qui est full. Vous trouvez des exposants que vous n’aurez pas le samedi, donc ça vaut le coup.
Comment la crise a-t-elle affecté les producteurs ?
L’année a été très difficile. Des récoltes ont été perdues, faute de débouchés. Et puis avec la destruction de 20 % des surfaces de vente, le départ d’environ 10 000 personnes, sans compter la baisse du pouvoir d’achat de 12 000 autres, nous avons perdu près de 20 000 consommateurs.
Comment les producteurs s’adaptent-ils à ce contexte ?
À une époque, on avait juste à reculer le fourgon dans une enseigne pour tout vendre, mais c’est fini. En maraîchage, on est obligés de diversifier les points de distribution comme les types de production d’ailleurs, car les cours du marché sont trop aléatoires. Ils vont dans la grande distribution et les commerces classiques, les marchés ou les primeurs comme My Primeur ou Farmers Market. Les ventes au panier connaissent un succès ponctuel en période de surpro- duction, mais la plupart des consommateurs préfèrent choisir leurs produits eux-mêmes. Les grands maraîchers seront toujours obligés de venir à Nouméa. Mais notre ambition, c’est vraiment de faire en sorte que des producteurs puissent vendre dans des marchés de proximité.
La vente directe sur les exploitations est-elle une alternative ?
Je pense que Le Jardin Calédonien a main- tenu son activité à Dumbéa. Mais la vente directe fonctionne surtout si l’exploitation est proche des zones de consommation. Donc généralement on n’a aucun intérêt à faire de la vente à la ferme. Je vois que ceux qui ont essayé ont généralement fini par rejoindre les marchés comme à La Foa, ça ne les mobilise que deux demi-journées. Sur le Grand Nouméa, il faut être dans la ceinture verte mais elle se réduit, ce qui complique encore cette option.
Les marchés restent-ils compétitifs par rapport aux grandes surfaces ?
Oui, je le dis avec certitude. Je ne dis pas que ce n’est pas cher et les consommateurs peuvent considérer que les prix ne répondent pas à leurs attentes, mais de manière générale, on est, dans les marchés de producteurs, sur des tarifs plus compétitifs.
Les pêcheurs rencontrent-ils les mêmes défis que les agriculteurs ?
Oui. Depuis leur intégration à la CAP-NC en 2022, nous avons constaté qu’ils font face aux mêmes problèmes : distribution, stockage, transformation et gestion des pics de production. Par exemple, quand c’est la saison du mulet, tout le monde en a, mais les consommateurs veulent de la diversité.
La vente illégale en bord de route représente-t-elle un danger ?
Après les émeutes, ces ventes ont explosé, parfois alimentées par des vols sur les exploitations. Elles font aussi du tort aux professionnels qui respectent les normes et paient leurs charges. Les marchés officiels permettent d’identifier les vrais produc- teurs. Pour la pêche, nous avons créé le label Pêcheurs calédoniens pour rendre leur travail plus visible.
Beaucoup ont aussi remis les mains dans la terre pour nourrir leur famille…
Oui, il n’y a qu’à regarder les flancs de mimosas, on recommence à défricher pour replanter. Dans les tribus, partout on replante : nourrir sa famille, son village, pour moi, ce n’est pas antinomique.
Quels sont les défis pour ces filières ?
La transformation des produits est une prio- rité. Elle permettrait de stabiliser les prix, de réduire les pertes et d’offrir des alternatives aux produits importés. Les cantines scolaires et le marché régional du Pacifique sont aussi des pistes à explorer.
Les marchés jouent-ils un rôle au-delà de l’économie ?
Absolument. Ils sont des lieux de vie, de rencontre, de cohésion sociale. À Ducos ou La Foa, on retrouve toutes les communautés, ce qui est rare ailleurs. Les commerces et activités sportives sont souvent segmentés, mais sur les marchés, tout le monde se croise, discute, partage un café. Ils nous montrent que la société calédonienne n’est pas morte.
Propos recueillis par Chloé Maingourd