[DOSSIER] « Je suis tombé dans la rue vers 14 ans »

« Parfois, pour des deuils ou autres, j’arrive à aller en Brousse », observe Jonathan. © Y.M.

Jonathan, 39 ans aujourd’hui, a connu des chemins sinueux, une perte de repères, et des excès. Pour ce grand solitaire, trouver à manger n’est jamais simple.

Sa silhouette longiligne promène une ombre sur les murs du supermarché. Un petit sac à la main et des années de « galère » sur les épaules. Le soleil tape fort sur le tricot noué autour de la tête de Jonathan prénommé aussi officiellement Italie, « comme le pays. Je ne sais pas pourquoi ». Une hypothèse est émise : peut-être un aïeul « fan de foot » du côté maternel. Le sans domicile fixe, de grande taille et solitaire, a aujourd’hui 39 ans. Dont une bonne partie vécue dans des conditions de vie précaires. « Je suis tombé dans la rue très tôt, vers 14 ans. » Un chemin pris dans un brouillard personnel semble- t-il, « je n’avais pas de repères ».

Jonathan est un enfant du Pacifique. Ses origines s’étendent jusqu’à Tahiti, l’île polynésienne de sa grand-mère venue sur le Caillou pour travailler dans le secteur du nickel avec ses frères il y a plusieurs décennies. Les racines sont aussi kanak de Houaïlou, tribu de Gouaraoui, où sont nés ses grand-père et père, un homme décédé « trop tôt ». Le jeune Jonathan grandit non loin, sur les terres de sa maman, à la tribu de Mé. Les vacances scolaires sont rythmées par un cycle plaisant, encore très frais en mémoire. Le matin, « on travaillait la terre. Puis on mangeait. Et l’après-midi, on jouait avec les cousins, les frères… ».

« VIN, KAVA, WHISKY »

Quand sonne l’heure de la rentrée au collège après toute une scolarité en primaire à Gouaraoui, le car prend la direction de Poindimié. Mais « je n’y suis pas resté longtemps. J’étais désorienté ». Retour à la tribu. Puis s’amorce une descente vers le sud pour quelques années d’études à Nouméa. Sous les lumières de la ville, un piège se referme. « Ma mère s’inquiétait que je traîne dans la rue. Je buvais du vin, du kava, du whisky, je fumais, presque tous les jours à partir de 15 ans. » L’âge où « les conneries » s’enchaînent, comme des vols, parce que, sur le bitume de la capitale, « on est entraînés » par d’autres, plus grands. Ce qui conduira, une fois adulte, Jonathan derrière les barreaux. Ce Camp-Est est « un enfer », alors « j’ai arrêté » les bêtises. Hors de question d’y remettre les pieds, « ce n’est pas une vie ».

Il y a plus d’un an, le trentenaire à la barbe noire fournie a aussi décidé, de lui-même, de faire une croix sur l’alcool. La boisson consommée à l’excès, il y a bien des années, ne ramenait pas que des amis. Des bagarres éclataient régulièrement. « Je prenais des coups, et ça passe. Mais ça marque » à tous les niveaux. Il y a eu également une prise de conscience. À cause de ces litres ingurgités, « plein de jeunes sont morts, en voiture surtout ».

« RESTER SANS MANGER »

Les journées s’écoulent aujourd’hui, toujours sous les réverbères et près des routes. « Je suis dans la rue 24 heures sur 24. Je dors tout le temps dans la rue. » Jonathan a son quartier privilégié de Nouméa et ses coins pour s’allonger. Sous les arches d’un parking, sur le seuil d’un immeuble protégé de la pluie, dans un espace végétalisé « pour écouter le chant des oiseaux », ou encore près de l’église du Vœu. Parce que, le matin, des représentants de l’association Macadam passent devant le bâtiment catholique pour offrir un café chaud et un sandwich. La faim parfois torture le ventre, même si « j’arrive à rester sans manger. Je marche beaucoup ».

Italie de Houaïlou se défend de faire la manche. Quand il le faut, « j’arrive à trouver de quoi m’habiller, manger, mais avec respect. Je demande gentiment ». Toutefois, il faut le reconnaître, cette quête de nourriture, « c’est dur ». Pour se laver, pas dix mille solutions, il y a le robinet d’immeubles ou de bâtiments publics. Désormais, une bonne part de son temps est consacrée au repos. Comme une récupération par rapport à cet avant où « la bougeotte » l’emportait sur le sommeil, selon ses dires.

La rue est aussi violente, imprévisible. Jonathan « ne cherche pas les problèmes », et puis, « ma grand-mère kanak paternelle était une grande guérisseuse ». Une référence familiale qui assurerait une protection. « Les SDF, on se connaît tous. Il n’y a pas de bagarre entre nous, les jeunes. » En revanche, des habitants de quartier les chasseraient parfois violemment, or « on n’embête personne ».

Maintenant, chaque pas est un élan « avec le Seigneur ». Le grand marcheur a appris à passer la débroussailleuse, tailler une haie. Cependant, dégoter ce type de petit boulot n’est pas facile, d’après lui, parce qu’il faut faire un CV, lancer des démarches… Un autre souhait fort serait de s’envoler vers la Métropole. « J’aimerais y aller » pour retrouver de la famille et vivre un ailleurs.

Yann Mainguet