À partir de 1942, la présence militaire américaine a fait des années de guerre une parenthèse dorée. La Libération de la France, survenue alors que les combats faisaient encore rage dans le Pacifique, n’a « rien changé à la vie quotidienne ».
DNC : En Nouvelle-Calédonie, où les autorités pétainistes ont été renversées au début de la guerre, comment ont été organisés les envois de soldats en Europe ?
Ismet Kurtovitch : Difficilement. En 1940 et 1941, les Calédoniens qui avaient organisé l’entrée du pays dans la Résistance voulaient que la mobilisation obligatoire soit aussitôt décrétée. Mais le gouvernement central, celui de Londres, présidé par le général de Gaulle, a choisi le volontariat. Cela explique qu’assez peu de Calédoniens s’engagent dans le Bataillon du Pacifique quand son commandant, le capitaine Broche, arrive de Papeete. En outre, nos dirigeants estimaient qu’il ne fallait pas dégarnir le pays pour prévenir le retour des pétainistes et l’arrivée des Japonais.
Plusieurs dizaines de jeunes femmes se sont également présentées. De Gaulle en a retenu deux sur l’insistance du gouverneur Sautot : Mesdames Rolly et Jore. Puis, un deuxième contingent composé d’une majorité de Kanak est parti en 1943. Il faut ajouter les marins des Forces navales françaises libres [les FNFL, NDLR] et les commandos SAS, sans oublier la dizaine de Calédoniens qui sont entrés dans la Résistance en Métropole, comme l’écrivain Jean Mariotti, le professeur Jacques Barrau, le docteur Edmond Caillard, le magistrat Sylvain Gargon ou encore le sergent René Gabriel Boucher, natif de Farino, tué au combat en 1944.
« Les volontaires ont découvert un pays transformé. »
Comment la Nouvelle-Calédonie a-t-elle vécu la Libération ?
La guerre du Pacifique n’est pas terminée et le pays est encore dominé par la présence américaine, qui a apporté, à partir de 1942, non seulement la sécurité, mais aussi la prospérité et la démocratisation d’un certain bien-être social, culturel et économique. Jamais, sans doute, la France et l’Europe n’ont été aussi loin dans l’esprit de la population calédonienne. Ici, pendant toute la guerre, on vivait bien ou mieux, et on était heureux. On peut le dire, Nouméa était une fête, comme certaines parties de la Brousse. La fin de la guerre en Europe n’a donc rien changé à la vie quotidienne. Bien sûr, la Libération de la Métropole a été célébrée et a été vécue comme une délivrance pour les familles de ceux qui étaient partis à la guerre.
Comment ont été accueillis les soldats à leur retour ?
En raison des difficultés de transport, les volontaires ne sont rentrés qu’en mai 1946. Un accueil officiel a été organisé à la mairie de Nouméa. Ceux qui étaient revenus au pays avant ont bénéficié d’avantages, comme l’octroi d’une licence pour ouvrir un commerce. Puis, le Conseil général a attribué chaque année une subvention à l’association des volontaires et à celle des marins des FNFL qui a permis aux uns et aux autres d’acheter un terrain ou de bénéficier de fonds pour leurs projets. Les volontaires ont découvert un pays transformé, une nouvelle mentalité, tant la guerre avait été à partir de 1942 une période bénéfique.
« À partir de 1945,
la colonie ségrégative laisse place à un territoire géré démocratiquement. »
La Libération a-t-elle eu des répercussions politiques et sociales ?
Bien sûr, parce que la guerre avait une dimension politique forte, notamment vis-à-vis des empires coloniaux. Ni les Américains, ni les Soviétiques, ni les résistants, ni les colonisés naturellement, ne voulaient le maintien du système colonial qui a été supprimé à partir de 1944 par la fin de l’indigénat, la généralisation de la citoyenneté, le droit de vote accordé aux femmes, etc. Enfin, la France a engagé une politique de rééquilibrage avec la création en avril 1946 d’un fonds d’investissement ‒ le célèbre FIDES. Entre 1947 et 1952, des dizaines de réalisations sociales, médicales, routières ou encore portuaires ont fait de la Nouvelle-Calédonie un pays plus moderne.
Mais c’est surtout le mieux vivre pour tous et la nouvelle considération dont ont bénéficié les Kanak et les Asiatiques, tant leur travail était nécessaire à l’effort de guerre allié, qui a eu un effet à longue portée. Les Calédoniens ont revendiqué ensemble l’obtention d’avantages et de libertés politiques. À partir de 1945, la colonie ségrégative, dominée par l’ethnie européenne, laisse la place assez rapidement, comparé aux autres ex-colonies françaises, à un territoire géré démocratiquement au bénéfice de tous ses habitants et plutôt autonome.
Propos recueillis par Gilles Caprais