[DOSSIER] iouri, l’introspection partagée

« J’écoute un peu de tout. J’essaie de me nourrir de la musique en général », appuie iouri aux côtés de son collaborateur, DJ Kan3Z. (©Y.M)

Portée par une musique finement sculptée, son approche est qualifiée de mélancolique, basée sur son vécu ou celui de proches. iouri, 24 ans, est pressenti pour participer au Week-end festival des 26 et 27 septembre au Centre culturel Tjibaou.

La chanson à la mélodie rétro tourne, s’installe, puis sert des mots lourds et sombres. Le rythme est pesé, les images plongent dans un absurde coloré. « Chambre livide » est un petit bijou 100 % local. Le clip, signé Rémi Pereira De Carvalho, « le grand frère d’un ami », amène à se promener devant le magasin Au bon prix la nuit ou dans l’herbe haute le jour, toujours à Nouméa.

iouri, son prénom sans majuscule pour la musique, assure la voix et les textes bien ciselés. La maîtrise musicale est déjà là, à 24 ans. Les morceaux sont « très centrés sur moi et mes proches. C’est assez personnel, introspectif », estime l’artiste qui se définit comme « quelqu’un de mélancolique, qui traverse des choses ». iouri, accompagné de son partenaire DJ et ingé son, Kan3Z, est en vue pour figurer à l’affiche du week-end Francofolies et Jazz à Nouméa des 26 et 27 septembre au Centre culturel Tjibaou. Un grand bond.

Ses créations s’appuient sur une trajectoire singulière. Calédonien né à Nouméa, d’une mère française et d’un père d’origine polonaise, iouri a grandi avec une famille mélanésienne dans un squat du côté de Dumbéa Rivière. « Parce que mes parents travaillaient beaucoup », le paternel étant gardien de prison et la maman travaillant au CHT Gaston-Bourret. La culture kanak imprègne le début de vie. Revenu au sein du foyer, le garçon enchaîne le collège à Auteuil, le lycée du Grand Nouméa, puis l’École de gestion et de commerce, avant de saisir un poste sous une grande enseigne de vente d’articles de sport. Le jeune homme est aujourd’hui responsable commercial.

Étonnant, élégant dans l’absurde, le clip « Chambre livide » a été réalisé à Nouméa par Rémi Pereira De Carvalho.(Capture d’écran – clip Chambre livide)

La musique, elle, s’est invitée tardivement. « Jusqu’à mes 18 ans, je n’avais aucune culture musicale », se souvient iouri. Le rap américain arrive alors à grands pas, avec Eminem, 50 Cent… Son frère, rencontré à cette même époque, l’initie au son français de Guizmo, Keny Arkana, Kery James… Tous les styles ou presque le nourrissent.

AUX CONCOURS NEWCALRAP

iouri tente sa chance, il y a six ans, dans des petits concours sur Instagram dénommés NewCalRap. « Je me suis dit : pourquoi pas ? » Sa ligne est déjà définie. « Je ne fais pas du rap de rue, je ne viens pas de la cité. Donc, j’avais envie de raconter mon vécu. C’est pour ça que j’ai commencé à écrire. » D’événements de freestyle aux tournées dans les bars et à la formation scénique, le compositeur trace son chemin, jusqu’à la création du collectif Highlanders avec Kan3Z, Solo… Cette collaboration entre artistes « centrés sur la culture hip-hop avec rappeurs et beatmakers », selon leurs propres termes, accouche en décembre 2022 d’un album de dix morceaux baptisé « Connexions ». « On a tout fait nous-mêmes », note iouri qui, après le départ de ses amis vers le Canada ou la Métropole pour poursuivre leurs études, décide de préparer sa prochaine production, ici, en Nouvelle-Calédonie. L’album EP de cinq titres a pour nom « Mauvais Trip ». « J’ai travaillé énormément avec Kan3Z qui m’a aidé à enregistrer tous les morceaux. »

Le projet est diffusé le 21 mai 2024 sur les plateformes de streaming, juste après l’éclatement des émeutes. « Mais j’avais décidé de le sortir quand même. » Le concept est « plus personnel, davantage dans ma direction artistique. Ça parlait plus de moi et j’ai pu trouver mon univers ». Qui n’est pas joyeux. Le thème des addictions y est abordé. « Il y a très peu de lumière dans ma musique, très peu d’espoir. Mais je pense que ça parle à certains, ceux qui sont dans une mauvaise passe, qui ont une forme de résilience et qui comprennent qu’ils ne sont pas tous seuls à traverser ces moments durs. »

Brillamment réalisés par Rémi Pereira De Carvalho, deux clips sont livrés coup sur coup sur YouTube : « Dans mon crâne », qui a remporté un franc succès, puis « Chambre livide », des titres tirés de l’album « Mauvais Trip ». L’équipe a déjà recensé 10 000 écoutes du projet sur Spotify. iouri croise les doigts. La participation au Week-end festival de la fin septembre au Centre culturel Tjibaou constituerait une belle opportunité de faire découvrir ses titres, de se professionnaliser et de rencontrer d’autres artistes, voire de taper dans l’oreille d’un producteur. Le jeune rappeur, habile avec la combinaison des mots, croit en son rap un peu à part et en l’exportation de sa musique un jour vers la Métropole, la Belgique… Aujourd’hui « on est sur la bonne voie ».

Yann Mainguet