09 h 40 lundi 6 octobre, Sébastien Lecornu démissionne. Le camp présidentiel est en ruines, les oppositions déterminées à retourner aux urnes, Emmanuel Macron acculé. En quelques heures à peine, la France a plongé droit vers la crise de régime. Récit.
Il aura survécu 14 heures. Tout juste nommé, le gouvernement implose avant même de s’exposer à la censure. Un tweet de Bruno Retailleau publié la veille au soir, remettant en question la participation des Républicains au gouvernement, a mis le feu aux poudres. Alors que dans les ministères, on préparait les cérémonies de passation de pouvoir, celles-ci n’arriveront jamais… Naïma Moutchou, très éphémère titulaire du portefeuille de la Fonction publique, « a lâché sa vice-présidence de l’Assemblée pour n’être ministre que pendant un dodo », raille une macroniste historique.
Dans les partis, c’est un coup de tonnerre. Les états-majors multiplient les réunions. À l’Assemblée nationale, les couloirs sont déserts. En circonscription, les députés préparent la suite… Car tous sentent le même parfum, celui de la dissolution. Seul, téléphone à l’oreille, Emmanuel Macron déambule sur les quais de Seine à Paris. Des images de fin de règne. Démission ? Dissolution ? Cohabitation ? Toutes les options qui s’offrent à lui paraissent mauvaises. À moins qu’il n’affine une stratégie que personne n’avait osé imaginer… À savoir, reconduire Sébastien Lecornu à son propre poste.
« PATHÉTIQUES »
Dans les rédactions parisiennes, cette rumeur court. « Ils sont pathétiques. Ils sont en train de reboucler avec LR pour faire un autre gouvernement Lecornu », lâche à l’AFP un interlocuteur politique, qui vient de raccrocher avec un ministre démissionnaire. En parallèle, Bruno Le Maire, vers qui nombre de critiques s’étaient concentrées suite à sa nomination surprise aux Armées, annonce, pour tenter de calmer le jeu, sa mise en retrait d’un gouvernement pourtant… démissionnaire. Il n’aura pas mis les pieds au ministère.
La Bourse est dans le rouge, le taux d’intérêt demandé aux investisseurs pour prêter de l’argent à la France passe au-dessus de celui de l’Italie. Les oppositions investissent l’espace public. La dissolution est « absolument incontournable », tonne Marine Le Pen, pour qui il serait « sage » qu’Emmanuel Macron démissionne de lui-même, ce qu’il a toujours exclu. Un peu plus tard, l’extrême droite clarifiera sa position : elle censurera « systématiquement » tout gouvernement jusqu’au prochain retour aux urnes. La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon appelle, elle, à la démission du Président, voire à sa destitution. Et le leader insoumis tente de reprendre la main à gauche en proposant une rencontre aux chefs du Nouveau Front populaire. Le PS la décline, elle n’aura pas lieu. Les socialistes reviennent à la charge : Emmanuel Macron doit, enfin, appeler la gauche à Matignon, clament-ils, invoquant la « cohabitation ». Il est question de faire un trait sur la réforme des retraites.
À droite, c’est le psychodrame, une fois de plus. « Alea jacta est », traduit en latin un sénateur LR, « on a franchi le Rubicon, il n’y a pas de chemin retour ». En interne, Bruno Retailleau suscite la confusion. « Les vacances vont lui faire du bien », glisse un cadre du parti. Marion Maréchal s’invite dans la cohue des caméras devant le siège des Républicains et en profite pour appeler LR à accepter « une coalition des droites ».
MACRONIE EN CENDRES
16 h 15, second coup de théâtre. Sébastien Lecornu est convoqué à l’Élysée par Emmanuel Macron. « Il n’y a pas dix solutions, soit il le renomme, soit il le consulte pour dissoudre », décrypte une ex-ministre. Ce sera ni l’un ni l’autre. Le Premier ministre démissionnaire sort tout souriant. Il refuse de répondre aux questions des correspondants de l’AFP sur place. « Lecornu 2 ? », lui demandent ces derniers. L’intéressé fait non de la tête en s’engouffrant dans sa voiture, direction… le Sénat, où l’un des stratèges de la droite, Gérard Larcher, l’attend.
Emmanuel Macron vient en fait de charger Sébastien Lecornu, toujours démissionnaire, de mener d’ultimes discussions d’ici mercredi soir (jeudi matin en Nouvelle-Calédonie) pour tenter de sortir de l’ornière. En cas d’échec, le chef de l’État « prendra ses responsabilités », dit son entourage. Ultime provocation pour l’opposition, incompréhension dans son propre camp. « Ils sont totalement déconnectés », grince un cadre Renaissance. Peu après 20 heures, la bourrasque vient de Gabriel Attal lui-même : « Je ne comprends plus les décisions » du président de la République, qui « donnent le sentiment d’une forme d’acharnement à vouloir garder la main », tonne le patron du parti macroniste Renaissance, ex-Premier ministre balayé par la dissolution de 2024.
Sur les cendres du camp présidentiel, un autre ancien locataire de Matignon va souffler une autre charge d’une violence inouïe. Édouard Philippe appelle mardi matin à une présidentielle anticipée après l’adoption du budget car selon lui, l’État « n’est plus tenu ». Pression maximale. En parallèle, Sébastien Lecornu tente désespérément de sauver les meubles. Avant d’inviter les partis d’ici mercredi, il rassemble à Matignon certains cadres du socle commun ‒ sans Bruno Retailleau ‒ et fixe avec eux deux urgences à régler, le budget et la Nouvelle-Calédonie où des élections doivent rapidement être reportées.
À Paris, Antoine Maignan, Agence France-Presse

