[DOSSIER] IA à la SLN : « Même les métiers manuels seront concernés »

Pour Nicolas Mathey, chef de département des systèmes d’information de la SLN, l’IA n’est pas synonyme de suppression de postes : « On va faire gagner du temps aux salariés sur les tâches ingrates et on va être efficient sur d’autres volets qui ont davantage de valeur ajoutée ». (©C.M)

La semaine prochaine, 140 salariés de la SLN bénéficieront d’une formation à l’intelligence artificielle du groupe Eramet avec des travaux pratiques spécialisés. La société, qui utilise déjà l’IA via diverses applications, cherche des pistes de développement issues du terrain.

C’est une première à Eramet. Cette formation, destinée à des personnels déjà sensibilisés et formés localement à l’intelligence artificielle – principalement des managers – va introduire la notion d’« agent IA ». Un agent intelligent est un système ou un programme capable d’exécuter des tâches de manière autonome pour atteindre des objectifs au nom des utilisateurs. « L’idée de cette formation est d’avoir des cas d’usage, introduit Nicolas Mathey, chef de département des systèmes d’information de la SLN. On va, en quelques heures, construire un agent. Par exemple, un agent RH pour la gestion des recrutements. On lui soumet la fiche de poste, des CV, puis il nous fait un premier listing de catégorisation. L’agent IA va lire 1 000 CV, ce qu’un humain ne fera pas. »

L’ambition est d’arriver à trouver les tâches que pourraient effectuer ces agents IA. Et un jour, pense Nicolas Mathey, « un patchwork de différents agents vont s’orchestrer les uns avec les autres permettant un gain général de productivité ». Pour le chef de département,

« l’agentique » est la plus grande valeur ajoutée de l’IA au monde de l’industrie. Encore faut-il la nourrir d’informations irréprochables. « Alors qu’avant on corrigeait la donnée au fur et à mesure, là c’est tellement automatisé, qu’il faut vraiment que la qualité soit propre à l’entrée sinon nous aurons un mauvais résultat à la sortie. »

CHATBOT ET IA EMBARQUÉE

La SLN utilise déjà un « chatbot » (logiciel qui simule et traite une conversation humaine) interne à Eramet. « L’EMS Aimigo est un environnement où il y a tous nos standards, nos protocoles, nos modes opératoires, des documents imbitables que personne ne va aller chercher, explique Nicolas Mathey. Il a toutes les informations et peut vous répondre, par exemple, sur le processus d’achat au sein d’Eramet avec toutes les sources. »

La SLN dispose également d’un Copilot interne, un outil Microsoft. Et puis un nouveau chatbot est arrivé cette semaine : « Albert », destiné à la sensibilisation au piratage. « Ce chat va accompagner chaque membre du personnel avec des petites formations de cinq minutes tous les mois, personnalisées sur leur poste et interactives. » Albert concerne 1 200 utilisateurs.

À l’usine, l’intelligence artificielle prédictive est utilisée pour aider à la décision du pilotage des fours de calcination.
La SLN utilise par ailleurs l’IA visuelle pour la détection des panaches c’est-à-dire des rejets de cheminées visibles dans le ciel qui permet de les recenser et les réduire. La technologie intègre aussi le domaine minier. « On a des drones qui cartographient des zones exploitées et cela est très utile en matière environnementale. »

Eramet a développé avec une startup la solution « Picterra » qui permet d’augmenter les outils déjà utilisés. « Avant, un humain devait analyser et dessiner les zones à végétaliser, la piste à refaire etc., un long travail. Là, cette IA va détecter tous les types de zones automatiquement », détaille Nicolas Mathey. Autre application, en phase d’étude cette fois, « la détection sur notre réseau de caméras, d’un départ de feu, d’une infraction, d’une anomalie. Au lieu d’une armée de personnes qui regarde une armée d’écrans, nous aurons potentiellement juste un grand écran qui affichera l’anomalie et l’humain saura ce qu’il a à faire ».

DES IA FRANÇAISES ATTENDUES

On le disait, la SLN part du terrain pour développer des solutions. « Nous sommes plus de 1 800 personnes, avec de nombreux métiers spécifiques, de la mine à l’ingé, la comptabilité en passant par la maintenance. Donc, c’est aux chefs de département de préciser sur quelle tâche il n’y a pas de valeur ajoutée. » L’intérêt émerge dans les équipes, les demandes de formation en IA sont de plus en plus nombreuses.

L’intelligence artificielle va-t-elle remplacer certains postes ? Pour Nicolas Mathey, il s’agit surtout d’un soutien permettant de dégager du temps de qualité. « On va être davantage sur un changement de métiers. L’IA ne va pas remplacer les personnes, mais les personnes vont être remplacées par celles qui vont l’utiliser. » Raison pour laquelle « chacun doit commencer à s’y intéresser parce que même les métiers manuels vont être concernés ». De quelle manière dans cette industrie ? « Prenez un mécanicien. Demain, il ira avec sa tablette et ses lunettes connectées ‘dialoguer’ avec l’IA pour évaluer le comportement d’une machine avec derrière une grande base de connaissance. »

Pour Nicolas Mathey, la SLN vit avec son temps. « Nous ne sommes pas en retard sur l’IA et pas en avance non plus. Nous sommes dans la bonne moyenne. » Une question essentielle pourrait néanmoins ralentir cette tendance : la souveraineté des données. « La plupart des outils actuels sont américains. Avant d’avancer un peu plus loin, on attend des outils français. Il y en a, par exemple Mistral, avec qui on discute. Mais les Français, comme les Européens, préfèrent réglementer avant d’innover. C’est l’inverse chez les Américains, c’est un peu notre faiblesse ». Le risque concerne le vol des données, l’espionnage industriel, l’attaque étatique. « Les Américains ont le Patriot Act. En cas de guerre, tous les contrats sautent et ils utilisent les données qu’ils ont à leur disposition. En ce moment, il s’agit d’être prudent. »

Chloé Maingourd