L’apnéiste français, champion du monde, est de retour en Nouvelle-Calédonie. Président du jury du festival, il a donné une conférence et a également pu faire quelques plongées. Guillaume Néry nous explique son rapport à cette discipline et au monde sous-marin qu’il s’évertue à défendre.
DNC : C’est une satisfaction ce retour en Nouvelle-Calédonie ?
Guillaume Néry : La Nouvelle-Calédonie m’avait manqué. C’est la cinquième fois que je viens. Je suis un amoureux du Pacifique, mais je vais davantage en Polynésie. Et c’est chouette de voir les différences, les petites nuances. C’est dur de juger sur ces courts moments, mais j’ai trouvé les récifs coralliens en forme avec une belle diversité, en tout cas sur la pente externe. Ça fait plaisir de voir des endroits où ça a l’air encore ultra sain.
Vous militez pour changer les logiques sur la protection de la biodiversité. Qu’est-ce qui se joue ?
On parle beaucoup du réchauffement climatique, parce que les impacts se font sentir. C’est le sujet qui fait le plus peur, qui est très relayé médiatiquement. Il va entraîner des effondrements de biodiversité parce que, si la mer se réchauffe, les récifs coralliens vont crever. Mais il y a une destruction du vivant qui est déjà en cours et sur laquelle j’ai l’impression qu’il pourrait être plus facile d’agir, avec des impacts immédiats. Mais il y a une inertie absolument abominable du fait des intérêts économiques. On fait des micro pas face à l’ampleur du problème.
Les écosystèmes naturels nous préexistent et devraient être protégés et sanctuarisés parce qu’ils ont la même importance, le même poids, le même rôle que nous. »
Et il y a toujours cette vision utilitariste de la nature. On doit la protéger parce que c’est une ressource, parce qu’on peut l’exploiter. Je trouve malheureux de ne pas lui donner une valeur intrinsèque. Tous les écosystèmes naturels nous préexistent et devraient être protégés et sanctuarisés, parce qu’ils ont la même importance, le même poids, le même rôle que nous.
Quels changements avez-vous pu observer sous l’eau ?
Le milieu des océans n’est pas épargné par l’effondrement de la biodiversité, de la vie marine, notamment avec la surpêche. Et les impacts du réchauffement climatique sont évidemment bien visibles. En Polynésie, j’ai pu voir des pentes externes de récifs où il y a 30 à 40 % de mortalité d’une année sur l’autre. Et puis il y a les pollutions notamment plastiques. La Méditerranée est au cœur du problème, même si finalement ça touche tous les endroits même totalement vierges, parce que tout est connecté.
Rencontre avec les cachalos à l’Île Maurice / Franck Seguin
Mais on se rend aussi compte que quand il y a des espèces protégées, des réserves marines qui le sont réellement, la vie repart assez rapidement. Il y a une résilience assez dingue du milieu naturel et du milieu marin encore plus. Donc ça devrait vraiment encourager les instances.
Je pense qu’il faudrait mettre fin à toutes les pratiques industrielles qui ont ravagé la nature ou, au moins, arriver à mettre en place une transition. Il faut retrouver les pêches artisanales, à taille humaine, réfléchir à nos approvisionnements en poisson, à nos besoins. Il y a des endroits où c’est la source principale de protéines, mais en Occident on pourrait réduire drastiquement notre consommation à l’instar de ce qui est préconisé pour la viande.
Il faut retrouver les pêches artisanales, à taille humaine. »
En quoi l’apnée permet de repenser notre rapport au monde ?
L’apnée, comme le vélo ou la marche, redéfinit les échelles et permet de réenvisager la manière dont on vit. C’est ce que j’évoque dans mon dernier livre. Il y a le rapport au risque dans un monde sécuritaire poussé à l’extrême, une pratique communautaire dans un monde individualiste.
S’inspirer, regarder ce que font les grands mammifères, accepter et s’adapter à un milieu qui est extrême, à l’opposé de la domination, de l’utilisation de la nature. Cette pratique nous oblige aussi à ralentir alors que le monde est dans une accélération exponentielle. J’évoque aussi notre nature aquatique avec cette idée qu’il faut s’interroger sur notre lien avec l’eau, un lien que tous les humains ont et qui est assez facile à retrouver.
On a développé un monde occidental avec une espèce de dichotomie entre nature et culture et je pense qu’il est intéressant de totalement se réintégrer, un peu comme tous les peuples autochtones. Dans mon livre d’ailleurs, je parle des Kanak : leur approche du vivant a de quoi nous interroger.
Quelles sont vos plus belles expériences sous l’eau ?
J’ai vraiment eu des expériences d’apnée profonde extraordinaires. Je retiens en particulier mon record personnel à 126 mètres. C’est passionnant d’arriver aux frontières de ses propres limites, d’avoir réussi à tout mettre en œuvre pour arriver au plus loin qu’on ait jamais été en étant dans un plaisir absolu. On a une sensation de connexion, d’harmonie avec l’élément. C’est en Méditerranée que j’expérimente mes plus belles plongées profondes.
L’eau en été est chaude, et passé 40-50 mètres elle se refroidit et j’aime rencontrer cette mère froide, qui va ralentir le corps. C’est une espèce de plongée à l’intérieur que j’ai plus de mal à ressentir quand l’eau reste chaude.
Et les plongées d’observation ?
Je dirais la rencontre avec les cachalots à l’île Maurice. Pour nous, le cachalot incarne une perfection et un modèle : il descend entre 2 000 et 3 000 mètres de fond, reste une heure et demie en apnée, a un mouvement sublime, une anatomie fascinante, une forme de vaisseau spatial dans l’eau… C’est incroyable.
J’ai un souvenir particulier à Maré (…) un souvenir de perfection dans une eau cristalline avec une architecture sous l’eau extraordinaire.”
Je citerais aussi la rencontre avec le grand requin-marteau aux Tuamotu, un des plus grands prédateurs de la planète qui a une grâce, une puissance très impressionnante. Aux Galápagos, on trouve dans une même apnée, une quantité de gros animaux assez dingue, des bancs de centaines de requins- marteaux qui cohabitent avec plusieurs grands requins-baleines, des phoques, des tortues…
Et ici, j’ai un souvenir particulier à Maré – le saut du guerrier. Un souvenir de perfection dans une eau cristalline avec une architecture sous l’eau extraordinaire, accompagné de personnes de la tribu qui m’ont vraiment ouvert la porte de leur sanctuaire, un moment très fort.
Propos recueillis par Chloé Maingourd
Photo : Guillaume Néry lors d’une journée avec des apnéistes locaux au Phare Amédée /Marine Reveilhac – Mola Mola pour Sublimage
Guillaume Néry a grandi à Nice, sur les bords de la Méditerranée. Il commence l’apnée à l’âge de 14 ans. Spécialiste de la plongée en poids constant, il bat à quatre reprises le record du monde en profondeur dans la rade de Villefranche et remporte deux fois le titre de champion du monde. Guillaume Néry a atteint 126 mètres de profondeur. Il peut tenir 7 minutes 42 sous l’eau.
En 2015, il est victime d’un grave accident en réalisant la plongée la plus profonde de l’histoire à 139 mètres, suite à une erreur de mesure de l’organisation qu’il raconte dans son dernier ouvrage Nature aquatique. En remontant, le plongeur fait une syncope. La course n’est pas comptabilisée.
Il décide de prendre de la distance avec la poursuite des records, même s’il continue la compétition. Il se consacre au partage de sa passion à travers une approche artistique. Il tourne dans un clip de Beyoncé Runnin, réalise avec son ex-compagne Julie Gautier des courts métrages sous-marins tournés en apnée (Free Fall, Ocean Gravity, One Breath around the Word), des projets photo, écrit des livres dans lesquels il témoigne des profondeurs et de la fragilité du monde sous-marin.
Guillaume Néry continue de s’entraîner avec son club CIPA à Nice et a créé en parallèle la Bluenery Academy avec un programme pensé pour les débutants. Il s’évertue à expliquer que l’apnée est ouverte à tous les publics.