[DOSSIER] « Grâce à la mine, j’ai fait la cuisine centrale »

Simonin Goa, gérant de la société Thowala, et Pascal Rondeau, directeur, ont perdu des repas scolaires après la première vague de départs de KNS en mars, mais en ont regagné un peu à la suite des arrivées dues aux exactions. (© Y.M.)

Le cuisinier de formation Simonin Goa a développé son entreprise de restauration collective Thowala grâce au marché de KNS. La baisse d’activité inquiète beaucoup.

Le nom de l’enseigne est bien trouvé. Thowala, en langue haveke de la tribu d’Oundjo, signifie « insister ». Ce trait de caractère peut être utile aujourd’hui. L’entreprise est d’abord le symbole d’une réussite. Axée à l’origine sur le nettoyage des chambres de la base-vie à Vavouto, son activité sous l’impulsion de Simonin Goa, cuisinier de métier, s’étend à la restauration collective. « Il y a un lien affectif à KNS », souligne le gérant, qui a lancé l’affaire avec sa femme.

« Au début, en 2008, il n’y avait rien » sur l’espace de l’actuel complexe métallurgique. Les locaux étaient loués sur place et la cuisine tournait à plein régime. « Pendant la phase de construction, on faisait 9 500 repas/jour à Koniambo Nickel. On est même montés à 12 000. Et on tournait 24h/24. » En 2021, Thowala sort de l’enceinte, notamment pour ne pas dépendre d’un unique client, et crée une cuisine centrale de l’autre côté de la route, à Voh.

Les réponses aux appels d’offres s’enchaînent, la société se développe et sert désormais seize écoles de la zone VKP, l’hôpital, deux centres de secours, une unité de dialyse, une crèche et l’université à Baco. Soit 1 800 repas par jour et 200 le week-end. Le site de KNS n’a pas de service de restauration à l’année, sauf pendant les deux périodes de shutdown, l’opération de maintenance programmée, où une prestation matin, midi et soir est proposée : 1 200 repas/jour. « Depuis novembre 2023, c’est fini », regrette Simonin Goa. Un coup dur parce que « c’est grâce à la mine que j’ai fait la cuisine centrale ».

INVESTISSEMENTS SPÉCIFIQUES

La perte est aussi importante sur le plan comptable car, de par les choix des mets offerts et la consistance des menus, une journée de repas à KNS a une valeur beaucoup plus élevée qu’un déjeuner scolaire. « Koniambo Nickel restait le gros client de Thowala », résume Pascal Rondeau, le directeur. Sans l’industriel, le chiffre d’affaires va fondre de 40 % d’après les estimations.

Des investissements spécifiques, d’un montant de 15 à 20 millions de francs, avaient été réalisés, dont un frigo équipé de panneaux solaires, une navette pour transporter le personnel ou encore un véhicule spécial buanderie. La société s’occupe en effet de la gestion du comptoir des équipements de protection individuelle (EPI) ainsi que de l’entretien des tenues de travail.

Un local dédié a été conçu à côté de la cuisine centrale, et l’entreprise de Voh avait acheté des machines de nettoyage. Surtout, un poste permanent de buandière – ou lavandière – avait été créé. « Au 31 août, c’est fini, fin de contrat, se désole Simonin Goa. La buanderie ne fonctionnera plus. »

Thowala compte 18 employés, de la plongeuse, la cuisinière et la légumière aux personnels administratifs et responsable hygiène-sécurité. Vu l’arrêt de KNS mais aussi la conjoncture économique, des contrats de travail sont modifiés pour passer deux salariés à mi-temps. « On réduit la charge de fonctionnement aujourd’hui, mais combien de temps ça va tenir ? », note Pascal Rondeau.

D’autant que, bientôt, pendant les vacances scolaires, de décembre à février, seul le service de repas à l’hôpital, à l’unité de dialyse et aux deux centres de secours sera actif. « On ne gagnera rien, calcule Simonin Goa. Ça va être chaud. »

Autre incidence, Thowala achète les produits frais dans la région : les légumes de VKP, les chouchoutes ou des fruits des tribus, parfois le poisson des pêcheurs de Voh… Pour le directeur Pascal Rondeau, « la baisse d’activité se répercutera sur le micromarché local ».

 

LA TRIBU D’OUNDJO, À LA FOIS TÉMOIN ET ACTEUR

Victor et Clovis Fouange espèrent un repreneur des parts de Glencore au plus vite pour le développement de projets avec les GDPL. (© Y.M.)

« Le soir, on dirait un grand paquebot avec les lumières », sourit, le doigt pointé vers l’usine, Clovis Fouange, de la petite colline d’où s’élèvent l’église aux murs blancs et le monument de l’arrivée de l’Évangile en 1900. Le vice-président du conseil des anciens d’Oundjo, la tribu de 400 âmes la plus proche du complexe métallurgique, voit l’arrêt de KNS comme « une mauvaise nouvelle. On n’a pas eu les retombées espérées ».

Un GDPL dénommé Taa Maa Pwanefuk avait été créé pour les prestations de nettoyage industriel, de gardiennage ou encore de roulage à Koniambo Nickel. Des divisions internes à la tribu, des oppositions entre une démarche collective et des initiatives individuelles, mais aussi des relations parfois compliquées avec des groupes extérieurs, ont malmené certains espoirs. « J’espère qu’il y aura une reprise par un autre partenaire et qu’il respectera ses engagements », appuie le frère de Clovis, Victor Fouange, président de la SAS Taa Poa, outil destiné au développement de projets avec les GDPL.

Employeur direct ou indirect d’habitants de la tribu, KNS a réalisé le marché d’Oundjo ou encore a facilité la vie des fameuses pêcheuses de crabes. L’une d’elles, Paulette Poeni, le reconnaît : l’activité de l’usine générait du passage, ce qui était bon pour les femmes qui voulaient écouler les fruits de mer les jours de vente, les mercredi et vendredi. « Les licenciements vont faire mal aux jeunes qui ont investi dans une maison, une voiture, un bateau… et qui étaient un peu à côté de la vie tribale ».

 

Yann Mainguet