[DOSSIER] Gaël Lagadec : « Les taxes sur la Chine vont modifier les flux commerciaux »

Ancien président de l’université de Nouvelle- Calédonie, Gaël Lagadec enseigne les sciences économiques et est un spécialiste des États-Unis. Photo: Y.M.

La politique commerciale agressive, décrétée par le président des États- Unis, Donald Trump, bouleverse les marchés. Explications de Gaël Lagadec, professeur des universités en sciences économiques. 

DNC : Comment définiriez-vous l’actuelle politique commerciale de Donald Trump ?

Gaël Lagadec : On peut dire, en préambule, à tout le moins erratique. Les annonces tonitruantes sur les droits de douane envers la quasi-totalité des pays de la planète ont été suivies par leur suspension quelques jours plus tard. En outre, la détermination des taux annoncés semble relever d’un calcul étrange, jusqu’ici inconnu des économistes, et à la rationalité douteuse, au moins concernant la soixantaine de pays pour lesquels des droits de douane supérieurs à 10 % ont été annoncés.

Pour déterminer les nouveaux taux appliables, l’administration américaine est apparemment partie de l’excédent commercial de chaque pays avec les États-Unis, puis a divisé ce chiffre par les importations américaines en provenance de chaque pays. Elle a ensuite divisé par deux ce pourcentage pour en faire le nouveau droit de douane.

Au final, l’idéologie économique semble donc protectionniste (même si les mesures initiales ont été repoussées). Si on ajoute à cela la fin de l’aide américaine au développement, les déclarations du vice-président, J. D. Vance, notamment sur la nécessité des États européens de ne plus dépendre des États-Unis pour leur défense, se dessine une politique à tendance isolationniste.

Cette politique commerciale trumpiste rompt avec celles des précédents présidents américains. Mais suit-elle une véritable stratégie économique ?

Elle dénote avec la libéralisation continue des échanges mondiaux depuis des décennies et avec le multilatéralisme incarné par l’Organisation mondiale du commerce, créée en 1995.
Pourtant, cette politique trumpiste peut aussi être vue comme une résurgence des politiques américaines de la fin du XIXe – début du XXe siècle, que Donald Trump cite souvent comme modèle du « nouvel âge d’or » qu’il promet à l’Amérique. Cette période ancienne est aussi celle de la constitution de grandes fortunes, dans les trains (Vanderbilt), le pétrole (Rockefeller)… à laquelle semblent faire écho les immenses fortunes récentes des géants US de la tech.

Mais la véritable stratégie est probablement plus géopolitique qu’économique : taxer fortement des pays (d’ailleurs, les récents droits de douane de 25 % sur le Canada et le Mexique demeurent, sans parler de la Chine, la plus taxée) est une façon de les placer en situation de vulnérabilité pour les amener à entamer des négociations favorables aux intérêts américains. La grande hétérogénéité des droits de douane annoncés y participe clairement, en divisant les pays concernés. Il n’y a donc certainement pas qu’un objectif de réindustrialisation des États-Unis, même si cet objectif ne doit pas être négligé, comme en témoigne la décision très récente de l’entreprise Honda de délocaliser aux États- Unis une de ses usines… pour échapper aux droits de douane !

Le projet de hausse des droits de douane a déstabilisé l’économie mondiale. Des effets comme une inflation forte, voire une récession planétaire, sont-ils inéluctables si les mesures sont réintroduites ?

Déjà, les taxes sur la Chine vont modifier les flux commerciaux. Les produits chinois évincés du marché américain, rendus trop chers par l’imposition des nouveaux droits de douane, vont être réorientés, de nouveaux flux commerciaux vont se développer. L’industrie de l’Europe risque d’être encore perdante : des produits chinois bon marché y pénétrant encore plus. Au-delà, si les taxes annoncées, puis suspendues, étaient réintroduites, au moins en partie, cela ne pourrait que conduire à une contraction des échanges mondiaux et donc à un aspect récessif.

Des effets inflationnistes globaux sont plus incertains. N’oublions pas que les premiers impactés par les taxes seront les consommateurs américains : un droit de douane est une majoration mécanique du prix des produits importés. Cette majoration est aussi une recette douanière prélevée par l’État (ce qui permet dans une certaine mesure des baisses d’impôts).

Mais, sauf guerre commerciale d’ampleur, cela pourrait d’autant moins impacter le reste du monde que, comme dit supra, l’offre de produits chinois hors États-Unis devrait augmenter, ce qui est un facteur de désinflation (ralentissement de l’inflation), qui pourrait être aussi paradoxalement confortée par une baisse de la croissance mondiale (quand l’économie est en surchauffe, que l’offre peine à satisfaire la demande, cela est inflationniste, mais inversement dans une période de faible croissance).

Les risques de récession sont la raison des attaques récentes, le 17 avril, de Trump contre le président de la FED, la banque centrale US : Trump voudrait qu’il diminue les taux d’intérêt directeurs pour stimuler une politique contracyclique, contrebalançant ainsi les effets négatifs des droits de douane.

Négocier ou non avec les États-Unis ? La réponse des pays peut-elle redessiner les relations géopolitiques ?

Ce qui est certain, c’est que dans le Pacifique (ou ailleurs) les pays qui souhaitaient conserver une équidistance, c’est-à-dire de bonnes relations à la fois avec les États-Unis et la Chine, auront du mal à tenir cette position.

Les territoires du Pacifique sont-ils condamnés à subir la hausse des droits
de douane et ses conséquences ?

Nous verrons si les mesures sont réintroduites, mais l’enjeu est très mince vu des États-Unis, et comme ces pays et territoires exportent peu vers les USA, ils seront a priori peu impactés, sauf en cas de guerre commerciale globale, avec la perspective alors de subir une inflation « importée ».

Propos recueillis par Yann Mainguet