[DOSSIER] Entre adaptation et fatigue

Petelo doit jongler chaque semaine avec le programme des navettes maritimes et les déplacements à Nouméa sans voiture. Photo : Yann Mainguet

Petelo, Rosine ou Albertine ont dû instaurer une nouvelle organisation de vie face aux conséquences des exactions sur le réseau de transport public.

Du jour au lendemain, ses habitudes de déplacements ont pris fin. Terminés les 21 kilomètres au volant de sa voiture entre la maison de Plum et le bureau au Centre culturel Tjibaou. L’impossible traversée de Saint-Louis pour le moment a entraîné une gymnastique particulière, une autre routine moins confortable depuis le début du mois de juin. Le dimanche après-midi, Petelo quitte ses proches et rejoint le ponton du Vallon-Dore pour prendre une navette maritime en direction de Boulari.

Une fois arrivé, faute de bus, « je fais du stop » afin de s’approcher du domicile de sa belle-mère situé dans le quartier de Magenta-Aérodrome, son refuge pour la semaine en cette période compliquée. « J’ai des jambes, je suis en bonne santé, mais je suis un peu chargé », sourit, philosophe, l’agent de l’ADCK. « On s’adapte. » Le lendemain matin, quand sonne la reprise du travail, Petelo marche 30 minutes d’un bon pas jusqu’à l’entrée du CCT.

Lorsque la pluie tombe, une collègue et voisine le récupère. Des véhicules du Centre culturel en circulation aident aussi à parcourir quelques kilomètres. Et ainsi de suite, chaque semaine. La liberté de mouvement en pâtit forcément. « Mais ma situation n’est pas la pire, relativise le quadragénaire. Des gens habitent beaucoup plus loin. »

« ÇA ME COÛTE CHER »

Rosine est aussi établie à Plum. Avant la crise, la vie était simple. Il suffisait de prendre un bus Tanéo pour rallier, depuis le Mont-Dore, Nouméa et son école Marie Courtot, où l’animatrice de vie scolaire exerce. « Habituellement, je descends à Belle-Vie et je marche un peu. »

Tout a changé avec les émeutes et l’arrêt des transports publics routiers. Rosine monte, aujourd’hui près de sa maison, dans un taxi pour gagner le wharf du Vallon-Dore, direction la baie de la Moselle, et rebelotte, un taxi à destination de l’établissement scolaire. Le coût n’est plus vraiment le même. La facture, qui était de 2 000 francs par jour au début, a pu être abaissée grâce à « un système D ».

Toutefois « ça me coûte cher, je n’ai pas d’aide et c’est compliqué », admet Rosine qui tient absolument à son travail. « Les frais de transport augmentent, pas le salaire. » Le rythme de vie est lui aussi bouleversé. Cette agente de 50 ans proche des enfants doit désormais se lever au moins deux heures plus tôt que l’horaire habituel d’avant les exactions du 13 mai, pour avoir toutes ses chances d’attraper un taxi, puis une navette maritime. « C’est usant, le bateau », chaque jour sauf le mercredi, « ça me fatigue ». Le regard sur la période est critique, « tout est compliqué aujourd’hui ».

ALLER-RETOUR À PIED

Des étudiants ne diront pas le contraire, eux qui ont désormais bien du mal à gagner l’Université de Nouville. Pour Albertine, le quotidien n’est plus tout à fait le même. « Avant, c’était facile, j’allais avec les bus à Ouémo et au CPSS », le Comité de promotion de la santé sexuelle situé dans le centre-ville de Nouméa.

Dans le premier lieu, sur la presqu’île, la dame s’occupe de plusieurs enfants le midi, et revêt, dans le second, la tenue de technicienne de surface. Depuis l’éclatement des violences et la paralysie des transports, Albertine effectue à pied la distance qui sépare son domicile à Vallon d’argent, 4e km, de Ouémo. Soit deux bonnes heures de marche, aller-retour. « Arrivée à la fin de semaine, même si j’ai la forme, je suis épuisée », observe la sexagénaire. « Quand il pleut, je prends un taxi, ça me coûte 2 600 francs en tout, ça fait beaucoup. »

Albertine a participé il y a peu à une réunion. Un des thèmes : « beaucoup de mamans ont perdu leur emploi à cause de l’absence de bus, des femmes de ménage qui faisaient trois heures par-ci, trois heures par-là… Mille familles seraient dans ce cas. » Une marche pacifique serait en préparation dans le but d’alerter les autorités et trouver des solutions.

Yann Mainguet