[DOSSIER] Emmanuel Macron, ferme sur ses positions, s’isole

Le gouvernement est largement critiqué pour sa gestion du dossier calédonien. (© Ludovic Marin / Pool AFP)

En Métropole comme en Nouvelle-Calédonie, nombreux sont ceux qui réclament une pause ou le retrait de la réforme du corps électoral. Pour l’heure, aucune solution politique n’est proposée par l’exécutif. Mais le président de la République est attendu ce jeudi 23 mai sur le territoire pour « installer une mission de dialogue ».

Emmanuel Macron va-t-il parvenir à éteindre le feu politique que beaucoup lui reprochent d’avoir allumé ? Ses ambitions n’ont pas été détaillées. Tout juste sait-on qu’il est accompagné de ses trois ministres Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu et Marie Guévenoux. Et qu’il installera une mission de dialogue.

Ces derniers jours de nombreuses voix se sont fait entendre contre la politique du gouvernement. Une vingtaine d’élus ultramarins de gauche demandent le « retrait immédiat » de la réforme dont le vote a embrasé le territoire et sur laquelle ils avaient mis en garde. Ils appellent à une « réponse politique » plutôt que « sécuritaire ».

Le Rassemblement national, dont les députés avaient pourtant voté le texte, se ravise. Jordan Bardella, tête de liste aux européennes, estime qu’il a été « irresponsable d’engager le dégel avant les Jeux olympiques ». « Il fallait repousser le vote […] et repousser de six mois les élections provinciales », confirme Marine Le Pen, la présidente du RN, qui avait visiblement émis des réserves en amont. Elle dit désormais réfléchir à l’organisation d’un référendum « dans 40 ans », jamais évoqué par ce parti en tête de tous les sondages.

DES ALERTES DEPUIS LONGTEMPS

Cette nouvelle donne est importante, puisque Emmanuel Macron doit réunir les 3/5e du Congrès de Versailles pour mener à terme son projet de réforme. En forme d’ultimatum, il a promis, mardi 14 mai, de réunir ce Congrès avant fin juin à défaut d’accord. Les Républicains, inquiets, avaient mis des garde-fous sur le texte au Sénat, notamment cette possibilité qu’un accord puisse rendre caduque la réforme. François-Xavier Bellamy, tête de liste du parti aux euro- péennes, soutient l’exécutif. Mais les avis sont partagés.

Le gouvernement semble vouloir aller jusqu’au bout afin de « ne pas céder à la violence ». C’est ce que souhaitent en Nouvelle-Calédonie Les Loyalistes et Le Rassemblement. Mais au sein de cette majorité présidentielle, des personnalités réclament la suspension de la réforme pour un retour au calme. Dans nos colonnes, Sonia Lagarde appelait la semaine dernière à « une pause » dans le processus. Dans un entretien au Monde cette semaine, la maire de Nouméa recommande au président de ne pas passer « en force », vocable utilisé par l’opposition.

Le député Philippe Dunoyer plaide aussi pour que l’on prenne le temps. Tous deux sont favorables à l’idée d’une médiation, demandée par les indépendantistes et défendue par nombre de parlementaires. Les anciens Premiers ministres ‒ Ayrault, Valls, Philippe ‒ qui défendent la reprise en main par Matignon, s’expriment également en ce sens.

Idem pour la plupart des spécialistes à l’instar de l’ancien garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, ex rapporteur de la Mission d’information permanente sur l’avenir institutionnel du territoire, furieux, car « toutes les mises en garde ont été passées ». Alors que les langues se délient, il est en effet affligeant de constater le nombre de personnes ayant exprimé, au plus haut niveau, depuis des semaines, leur inquiétude. Pourquoi personne n’a été entendu ?

ÉVITER LE DÉSAVEU

Le président de la République, focalisé sur le rétablissement ‒ indispensable ‒ de l’ordre, n’a pour l’instant pas proposé de solution politique. Il a, en partie, confié le dossier au Premier ministre Gabriel Attal, qui n’a aucune connaissance de la Nouvelle-Calédonie, tout en confortant Gérald Darmanin et Sébastien Lecornu qui l’accompagnent dans son voyage, une équipe avec laquelle les indépendantistes ne veulent plus dialoguer, dénonçant leur partialité.

Ils sont accompagnés de trois haut-fonctionnaires, a priori pour la mission. Les présidents des chambres parlementaires, Yaël Braun-Pivet (Renaissance) et Gérard Larcher (LR), un temps pressenti pour mener une médiation, ne feraient pas l’affaire, écrit Le Monde. Ils ont été reçus dans le cadre du comité de liaison sur la Nouvelle-Calédonie par Gabriel Attal, où ils ont eux aussi demandé le report de la convocation du Congrès.

Visiblement, le président veut éviter tout désaveu et ne peut admettre qu’il s’est trompé, qu’il a été mal conseillé. Pourtant, tout le monde dénonce sa fermeté malgré les avertissements, et encore davantage le fait qu’il ait tenu cette position sans prévoir la protection de la population face à de possibles heurts.

L’affaire s’est déjà immiscée dans la campagne des européennes, l’organisation du parcours de la flamme et des Jeux olympiques… Ne peut-il pas – un temps au moins – faire appel à un tiers dans lequel chacun pourrait avoir confiance ?

 

INGÉRENCE ET DÉSTABILISATION

Jeudi 16 mai, au cœur des émeutes, le ministre Gérald Darmanin a accusé l’Azerbaïdjan d’ingérence en Nouvelle-Calédonie. Cette complainte n’est pas nouvelle, mais dans un contexte d’insurrection, elle a été relayée par tous les médias nationaux et localement, certains affirment que ce pays – ou bien la Russie ou la Chine – serait derrière l’organisation des émeutes.

Les liens entre l’Azerbaïdjan et l’Union calédonienne-FLNKS ont été mis à jour. Mais pour l’heure, il n’a pas été démontré qu’une force étrangère était derrière les violences. Certains y voient un moyen de se dédouaner. Cela ne veut pas dire que la situation n’est pas utilisée à des fins de déstabilisation. Le service de l’État Viginum a détecté sur X et Facebook, les 15 et 16 mai, une « diffusion massive de contenus inexacts ou trompeurs accusant la police française de tuer des manifestants indépendantistes en Nouvelle-Calédonie ». Les investigations permettent de remonter vers des acteurs azerbaïdjanais.

Mercredi 22 mai, le territoire a subi une cyberattaque d’une ampleur inédite, heureusement stoppée. Elle a touché un fournisseur d’accès dans le but de saturer le réseau calédonien, très peu de temps après l’annonce de la venue du président de la République. La majorité des mails seraient venus de Russie, selon les informations de NC La 1ère.

 

Chloé Maingourd