[DOSSIER] Émeutes 2024, des cicatrices encore profondes

Les émeutes urbaines de mai 2024 ont bouleversé une économie déjà à la peine et de fragiles équilibres sociaux. (© Archives Yann Mainguet)

Le mot est désormais entré dans le langage courant. Comme le douloureux rappel d’une période ensanglantée et traumatique, celle de 1984-1988. Les Calédoniens parlent des « événements » du 13 mai 2024. Poussé par Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, l’examen à l’Assemblée nationale d’un projet de loi constitutionnelle qui prévoyait d’élargir le corps électoral provincial met le feu aux poudres à Nouméa et dans les communes périphériques. Selon les chiffres de l’État, 10 000 assaillants saccagent des quartiers, brûlent des entreprises de Ducos, pillent des magasins… Le bilan humain sera très lourd : 14 morts dont deux gendarmes et près de 1 000 blessés d’après les données officielles.

La Cellule de coordination des actions de terrain, émanation de l’Union calédonienne, avait mené des manifestations pacifiques fin 2023 et début 2024. Les indépendantistes dénonçaient « une recolonisation » à travers la mesure d’ouverture du corps électoral à près de 12 000 natifs et surtout à 13 000 habitants domiciliés sur le territoire depuis dix ans. La CCAT, qui deviendra l’outil de mobilisation du FLNKS, est très tôt accusée par les autorités d’avoir fomenté les émeutes de mai 2024. L’enquête est en cours.

« Jamais nous n’avons connu une crise aussi grave, ni un avenir aussi incertain », se désolait le président du gouvernement, Alcide Ponga, le jeudi 20 février au Congrès, dès le propos introductif de sa déclaration de politique générale.

L’insurrection connue il y a un an est une tragédie, qui a elle-même généré des drames. Dans les familles, tout d’abord, par la perte d’un proche. Des foyers ont aussi plongé dans la misère. Déjà très fragile avant les émeutes, l’économie est à terre. Plus de 260 milliards de francs de dégâts et un soudain recul du produit intérieur brut ont été recensés. En mars 2025, « on comptabilise 11 101 demandeurs d’emploi, chiffre jamais atteint auparavant », selon la Cafat. Et mi-avril, 7 032 personnes sont hors de ses radars. Ce qui inquiète fortement les syndicats. La fin du chômage partiel le 30 juin prochain est redoutée, plus de 6 300 Calédoniens bénéficient du dispositif. Les finances publiques vivent sous perfusion de l’État. L’économie a deux voies devant elle : l’effondrement ou le regain de confiance.

« L’HUILE ET L’EAU »

L’échiquier politique, lui, a volé en éclats. Les plaies, ouvertes par le système binaire des trois consultations d’autodétermination, se sont nettement élargies sous le coup des invectives entre partis. Le rapprochement du Groupe d’initiative de Bakou (BIG), structure promue par l’État azerbaïdjanais, avec une frange indépendantiste, dont le moteur est l’UC, est condamné par la République française, voyant là des « opérations d’ingérence et de déstabilisation » de la puissance pétrogazière.

L’allocution de Sonia Backès, présidente de la province Sud, le 14 juillet 2024, tout un symbole, a en outre surpris par sa fermeté sans concession, aux antipodes de l’esprit de l’accord de Nouméa. « L’huile et l’eau ne se mélangent pas, a déclaré la leader des Loyalistes. Puisque le vivreensemble est un échec et que l’affrontement n’est plus tolérable, marchons côte à côte. »

La société calédonienne a fait les frais de ces affrontements. Une résurgence du racisme est venue alourdir un contexte déjà fragilisé par l’absence d’accord institutionnel. Un terrible amalgame, si facile ou attendu par certains, casse des relations : « les Blancs » sont de la milice et « les Kanak » des délinquants. La population est fracturée. Le journal Demain en Nouvelle-Calédonie s’intéresse sur deux numéros à cet épisode tragique de l’histoire calédonienne.

Yann Mainguet