Une étude commandée par la Fédération des professionnels libéraux (FPLS) à l’institut Quidnovi illustre l’insatisfaction grandissante des soignants quant à l’exercice de leurs fonctions, leurs souffrances et la corrélation avec leur envie de quitter le territoire. Un vrai danger pour la santé de tous les Calédoniens.
« Que la réalité soit connue de tous. » C’est l’ambition de la FPLS, à l’origine déjà d’un premier sondage réalisé par Quidnovi sur cette thématique en 2022. La dernière étude a été menée en novembre et décembre 2024 auprès de 579 soignants (3 000 recensés sur le territoire), libéraux et salariés, toutes professions confondues.
« 300 ont demandé à être audités ce qui montre une vraie attente », souligne la FPLS. L’étude s’intéresse à nouveau à l’attractivité du territoire, l’évolution du système et les relations avec les instances dirigeantes, ce qui permet un comparatif. S’ajoute néanmoins un focus sur les conséquences des émeutes de mai 2024 et l’impact sur leur envie de rester ou non en Nouvelle-Calédonie.
STRESS POST TRAUMATIQUE
Première observation, l’insatisfaction est grandissante. 37 % désormais (29 % en 2022), jusqu’à 55 % pour les infirmiers et les aides-soignants, personnel support sans qui les services ou les blocs opératoires ne peuvent tourner.
69 % des libéraux (58 auparavant) peinent à se faire remplacer. Une situation encore plus critique en Brousse et dans les îles. Il en est de même pour les astreintes et les gardes : 35 % rencontrent des difficultés à trouver des effectifs, 53 % chez les infirmiers et les aides-soignants. 73 % des libéraux et 80 % des salariés estiment que leur structure peine à recruter avec en bout de chaîne la pénibilité, l’impossibilité de se reposer. La relation avec les patients reste satisfaisante, mais se dégrade.
Quidnovi s’est intéressé à l’impact des émeutes sur les soignants en évaluant leur stress post traumatique. 7 % ont des symptômes sévères qui nécessiteraient une prise en charge (150 professionnels), 16 % des symptômes modérés (370). « Au total, il y a quand même 570 personnes qui sont concernées, plus ou moins, par du stress post traumatique : ce chiffre n’est pas anodin », insiste Stéphane Renaud, directeur de Quidnovi, qui invite à le transposer à la poulation générale.
L’étude montre que l’intensité du stress est liée aux quartiers de résidence et au niveau d’intensité des événements qui s’y sont tenus : jusqu’à 44 % de symptômes très sévères à Boulari, Robinson et Yahoué, 40 % à Auteuil, Koutio, DSM, Panda.
On peut aussi noter que 6 % des interrogés ont vu leur local détruit, (15 % pour les orthophonistes), et 19 % ont subi un impact sur leur lieu de travail.
PAS TRÈS LOIN DU CRASH
On trouve un lien très clair entre le stress post traumatique vécu et l’intention de partir. Les départs sont motivés à 85 % par les émeutes, 77 % chez les salariés du public. On part en raison des incivilités, de l’insécurité, de l’instabilité et l’absence de vivre ensemble, davantage que l’éloignement des proches, important en 2022.
Aujourd’hui, 12 % des soignants interrogés sont certains de partir. 47 % l’envisagent (37 % en 2022). « Si jamais la situation continuait à se dégrader, vous aurez la moitié des professionnels de santé qui quitteront la Nouvelle-Calédonie. […] On sera dans certaines professions à un seuil en deçà duquel on ne pourra plus assurer le service », résume Stéphane Renaud.
31 % disent aussi être contraints de rester, par exemple en raison de crédits. Pour le directeur, c’est une « boucle infernale », les problèmes d’insécurité génèrent du mal-être, des départs qui à leur tour conduisent à une pression au travail, une désertification et ainsi de suite. « On était en situation d’urgence en 2022. Là on n’est pas très loin du crash », analyse-t-il. L’étude a été présentée aux élus du Congrès et au haut-commissariat. Des restitutions sont prévues pour les professionnels de santé, les représentants de la Cafat, le public.
Chloé Maingourd
Comment stopper l’hémorragie ?
Les représentants syndicaux ont insisté lors de la conférence de presse sur le « ruissellement » des soignants vers le Sud et même le sud de Nouméa, la fermeture des dispensaires, des services, les « no man’s land sanitaires », l’attente des malades… « Les gens meurent », alerte François Delboy de l’Adic, association des infirmières. Leur regret également que la puissance publique n’ait pas pris la situation à sa juste mesure quand les alertes successives ont été données. Le mot de « maltraitance institutionnelle » est même posé.
Toujours est-il que l’heure est à l’action, a expliqué leur président, Patrice Gautier. Un livre blanc de la santé rassemble des propositions collectives et individuelles par syndicat. Les soignants insistent dans un premier temps sur la création d’une cellule de crise, d’une cellule thérapeutique, la mise en place d’un plan de santé mentale, l’instauration d’un climat de bienveillance (« stop au harcèlement financier et administratif »), la garantie du paiement des actes, la fin du choix selon les couvertures sociales, l’instauration de toute urgence du télésoin, la garantie de sécurité, et la possibilité d’assurer les professionnels partout.
Ils préconisent aussi d’offrir de meilleures conditions, de geler les conventionnements pour certaines professions, la mise en place d’une cartographie dynamique, puis plus largement, la réformation du système sur la base du plan Do Kamo.