Le président par intérim du Cluster maritime de Nouvelle-Calédonie, Marc Sabatier, plaide pour une relance par l’économie bleue. Cinq projets prioritaires sont sur la table pour diversifier l’économie du territoire et créer de l’emploi.
DNC : Quel état des lieux faites-vous de l’économie maritime aujourd’hui ?
Marc Sabatier : Pendant très longtemps, la mer, c’était le week-end, pour aller à la pêche ou sur les îlots. Mais aujourd’hui, l’économie bleue est une réalité économique pour la Calédonie. On a tout misé sur le nickel. Il faudrait peut-être regarder un peu par la fenêtre pour voir ce qu’il y a d’autres. Beaucoup de projets sont à l’arrêt. Des initiatives privées ont été abandonnées ou suspendues, notamment dans le nautisme et les infrastructures portuaires.
Pourtant, on a des atouts. Deux gros navires vont être basés à Nouméa à l’horizon 2029-2030 : le Michel-Rocard de l’Ifremer et le futur bateau de surveillance des pêches de la CPS. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de quai, pas de dock, pas d’infrastructures pour les accueillir. L’objectif, c’est de développer des projets structurants qui peuvent rapporter de l’argent assez rapidement, créer de l’emploi tout de suite pour pouvoir relancer des études, réinvestir et enclencher une dynamique économique. C’est dans cet esprit qu’on a mobilisé nos 100 adhérents. On a mené un travail collectif pour faire émerger cinq projets prioritaires portés auprès des décideurs.
Quels sont ces cinq projets ?
Le premier, c’est le développement de l’aquaculture durable. Il y a eu des essais avec les picots… Mais, principalement, c’est la crevette, qui est le deuxième produit exporté après le nickel depuis très longtemps. En 2004, ils produisaient 2 400 tonnes. Là, ils sont péniblement à 1 200 tonnes. Ils ont des gros problèmes de mortalité. La crevette calédonienne est unique dans le monde, parce que c’est une souche sauvage du Mexique, qui a disparu là-bas, ce qui la rend exceptionnelle. Le projet, c’est de faire venir des scientifiques de l’extérieur, d’aller voir ce qui marche ailleurs, même si ce n’est pas la même crevette. Il faut régler ces problèmes de mortalité, établis en moyenne à 55 %. Ce n’est pas tenable alors que la demande permettrait d’exporter 3 000 à 4 000 tonnes.
Le deuxième projet concerne la déconstruction navale. Il y a des épaves partout : dans la baie de Numbo, de l’Orphelinat, sur les anciens wharfs miniers… Il faut traiter ce stock historique et on sait qu’il y aura 8 000 bateaux de plaisance à déconstruire à moyen terme. On propose de créer un fonds dédié, avec une taxe à l’achat ou à la revente des bateaux. Deux anciens patrouilleurs de la Marine nationale, les P400, vont être bientôt déconstruits sur le territoire. Il faut structurer cette filière.
Le troisième projet, c’est faire de Nouméa une base technologique marine et un port scientifique pour le Pacifique Sud. Avec l’arrivée prochaine du Michel-Rocard de l’Ifremer et du navire de surveillance des pêches de la CPS, il est indispensable de développer les infrastructures nécessaires : docks, ateliers, services de maintenance. Aujourd’hui, on n’a rien de tout ça. Il faut anticiper.
Le quatrième projet est la mobilité maritime du Grand Nouméa. Les blocages à Saint-Louis ont montré qu’on n’avait pas de plan B. Si un pont cède, on est coincés. Il faut réfléchir à des barges, à des navettes. Ce n’est pas simple, car ces systèmes de transport sont rarement rentables sans argent public. Mais on ne peut pas faire l’impasse. Enfin, le cinquième axe est de doter la Nouvelle-Calédonie de moyens de levage adaptés aux navires de plus de 1 000 tonnes. Aujourd’hui, tous les gros bateaux partent en Nouvelle-Zélande ou à Tahiti pour leur maintenance. Il faut une cale de halage de 3 000 ou 4 000 tonnes. On a les compétences grâce à l’industrie minière, mais pas les moyens techniques. En Australie, à Perth, ils ont fait une base publique exploitée par une entreprise privée. C’est un modèle dont on peut s’inspirer.
Ces projets nécessitent des investissements publics ?
Oui, comme partout ailleurs. Ce sont des projets structurants qui créeront de l’emploi et permettront de développer une filière industrielle durable en Nouvelle-Calédonie.
Quelle est la part de l’économie maritime aujourd’hui ?
C’est justement ce que nous allons mesurer avec l’Observatoire de l’économie maritime, que nous mettons en place avec le soutien du Fonds d’intervention maritime de l’État. On travaille avec un cabinet métropolitain, un cabinet local et un expert-comptable pour avoir une photographie claire et fiable. Le point zéro porte sur l’année 2023, car 2024 n’est pas représentatif. Ce premier rapport sortira en avril. Il donnera une vision précise de l’économie maritime : le nombre d’emplois, le chiffre d’affaires, les volumes exportés. On parle de 4 000 emplois, mais on attend les chiffres consolidés.
La reconstruction du pays peut-elle être une opportunité ?
Oui. Aujourd’hui, on travaille collectivement avec la CCI, la Chambre d’agriculture et de la pêche, le port autonome. Trois de nos cinq projets sont aussi les leurs. Il y a une fenêtre de tir, on est prêts avec 15 projets, dont cinq prioritaires, qui peuvent démarrer rapidement. Si on veut être entendus à Paris et audibles auprès des décideurs, il faut qu’on parle d’une seule voix. Aujourd’hui, il y a une vraie volonté de travailler ensemble. C’est comme ça que l’on doit avancer.
Propos recueillis par M.D.