Fondateur du collectif Apolstoa-33 au début des années 1990, il est aujourd’hui considéré comme l’un des pionniers du rap et du graffiti en Nouvelle-Calédonie. Rencontre avec Didier Mindia.
C’était il y a trente ans. Les improvisations de rap aux quatre coins de Nouméa, les graffitis réalisés sur les murs la nuit, les enregistrements sur bande magnétique… Une période de sa vie que David Mindia aborde avec beaucoup de modestie, lui, le premier rappeur kanak. Il connaît la réputation qui le précède, mais a du mal à s’en accommoder. « Je n’ai rien laissé de cette époque, si ce n’est cette notoriété », tempère-t-il.
Originaire de Houaïlou, il grandit à la Vallée- des-Colons, dans les années 1970. Comme beaucoup, il découvre le rap à travers la télévision, durant son adolescence. « Nous n’avions pas de téléphone, mais on avait toujours le moyen de savoir ce qui se passait à l’extérieur. » L’émission H.I.P. H.O.P, qui arrive sur TF1 en 1984 et fait la part belle à la danse hip-hop, au graffiti et au rap, est une révélation. « Il y avait plusieurs artistes, qui intervenaient […] En voyant cela, je me suis dit : ça, c’est pour moi ! »
« SORTIR LA TÊTE DE L’EAU »
Peu à peu, la culture hip-hop le « sauve » de son quotidien. « À cette époque, on diva- guait, on faisait pas mal de conneries. Avec le hip-hop, on s’est dit qu’il y avait autre chose à faire ». La philosophie du DJ américain Afrika Bambaataa et son mouvement Zulu Nation* fait germer quelques idées dans son esprit. « Il y avait un message fort qui était véhiculé et le rap, c’était aussi ça : donner de l’espoir à toute une jeunesse, les encourager à sortir la tête de l’eau. »
Au début des années 1990, des artistes et groupes comme Assassin, MC Solaar et Suprême NTM commencent à « faire bouger le rap en France ». En Nouvelle-Calédonie, Didier Mindia crée avec quelques amis le collectif Apolstoa-33 (pour « apolitique » suivi du chiffre 33, « symbolique » pour eux). Si leur rap s’inspire du style hexagonal, il détient néanmoins sa propre identité avec, dans certains morceaux, des rythmes empruntés au kaneka. Filmé à l’occasion d’un documentaire, « Les chants de l’igname », en 1992, l’artiste l’affirme : « Rester dans le traditionnel, c’est ce qu’il y a de plus fort, de plus vrai ».
Pas de caméra ni de CD à l’époque, mais le jeune homme s’achète quelques « outils d’enregistrement » pour conserver ses morceaux. Des trésors d’archives qui, aujourd’hui, n’existent plus. « De toute façon, nous, on était dans l’underground [mouvement artistique diffusé en dehors des circuits traditionnels commerciaux]. On ne cherchait pas la commercialisation, c’était davantage thérapeutique », explique-t-il.
La même année, il s’envole vers la Métropole faire des études à l’École nationale supérieure d’art et de design de Nancy. L’apprenti graffeur – qui réalise déjà quelques fresques publiques dans Nouméa – ne sait pas où cette aventure le mènera, mais il se laisse porter par sa passion. « Il faut bien trouver quelque chose, parce qu’après, on s’ennuie vite et on ne se satisfait pas de la vie », philosophe-t-il.
De retour en Nouvelle-Calédonie deux ans plus tard, il décide de cesser le rap pour se consacrer au graffiti. « J’ai tout arrêté à ce moment-là », avoue-t-il, avec une pointe de regret. Il expose dans plusieurs galeries d’art et vend quelques créations. Aujourd’hui, père d’un petit garçon de cinq ans, Didier Mindia se consacre pleinement à sa vie de famille. Ce qui ne l’empêche pas de garder un œil attentif sur le rap calédonien, « en pleine évolution », selon lui. « Le mouvement a besoin de se faire connaître et d’être exporté. Je pense qu’il peut encore devenir croissant avec les jeunes qui arrivent. Ils sont beaucoup et j’espère qu’ils ne baisseront pas les bras. On a tellement de choses à dire sur ce qui se passe ici. Tout est à faire. »
Lui-même s’imagine volontiers investir de nouveau la scène du rap. « J’entends, j’observe et je me dis qu’à un moment donné il faudra bien que je m’y remette […] À 50 ans, on a encore l’énergie de vouloir faire des choses. »
Nikita Hoffmann
*Organisation internationale créée en 1973 qui propose la culture hip-hop (danse, graff et rap) comme alternative à la violence.