[DOSSIER] Des secteurs en pénurie

Au Médipôle, pas moins de 114 infirmiers ont quitté́ le territoire entre janvier et novembre 2024. (© Delphine Mayeur / AFP)

Le manque de compétences touche différemment les corps de métier. Plusieurs catégories professionnelles, la santé en tête, subissent des départs, tandis que d’autres anticipent les difficultés à recruter lors d’une éventuelle reprise économique.

  • LE PHÉNOMÈNE S’ÉTEND

Selon la dernière conjoncture de l’Isee, plus de 9 000 salariés auraient perdu leur emploi entre mars et septembre. L’Institut de la statistique et des études économiques constate que le nombre d’employeurs continue de baisser : « Les recrutements intervenus au cours du 3e trimestre ont été divisés par deux par rapport à ces quatre dernières années et chutent à leur niveau le plus bas ».
L’agence d’intérim Abôro Consulting estime que « près de 70 % des postes proposés aujourd’hui » sont « liés à des départs ». Et ce, « aussi bien sur du niveau technicien que de cadre », analyse Gaël Morvan, responsable de la structure. « Auparavant, la pénurie de profils était limitée à certains secteurs et à certains domaines de métiers – notamment dans le médical, l’informatique et comptabilité gestion – aujourd’hui, ça s’est généralisé à la plupart des domaines d’activité. »

  • DES DIPLÔMÉS DÉSIRÉS

Les métiers en tension touchent autant le secteur privé que public, mais ils ont un point commun : le diplôme. « C’est sur les emplois les moins qualifiés qu’on a le moins de risque d’inadéquation », analyse Philippe Martin, à la tête de la Direction du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (DTEFP). « Plus on monte en qualification, plus le désajustement peut s’avérer important. »
Hormis les métiers de la grande distribution et du commerce, qui bénéficient d’un vivier local, les métiers les plus recherchés en octobre 2024 sont, selon les intitulés de la DTEFP : études et développement informatique, soins infirmiers généralistes, comptabilité ou encore secrétariat. Illustration avec les comptables, une catégorie particulièrement touchée. « En 2024, on avait 305 postes à pourvoir avec une exigence de niveau 5, donc Bac + 2. On avait 336 demandeurs, mais seulement 44 % ont le niveau requis », regrette Philippe Martin.

  • UNE CONCURRENCE INTERNATIONALE

Quand des compétences manquent au territoire, les entreprises et parfois les administrations font appel à des professionnels hors territoire. À l’image du CHT qui a recruté des médecins étrangers. Mais l’opération n’est pas pour autant aisée.
« Les métiers les plus recherchés en Nouvelle-Calédonie sont aussi les plus recherchés au niveau mondial, assure Philippe Martin, directeur de la DTEFP. Les personnes qui ont ce type de qualification sont extrê- mement sollicitées et donc extrêmement mobiles. »

  • LA SANTÉ DANS LE ROUGE

Le tableau de synthèse 2024 de la Direc- tion de l’emploi est éloquent concernant la santé. Pour les métiers soins infirmiers généralistes, médecine généraliste et spécia lisée, pharmacie et analyses médicales, le niveau de tension affiche un rouge vif avec la mention « très élevée ».
Le 9 janvier, la direction du CHT a appuyé sur la sonnette d’alarme lors d’une conférence de presse. Le territoire a perdu 40 % de sa capacité d’hospitalisation. Le représentant des médecins urgentistes, Vincent Fardeau, a souligné à cette occasion une « perte d’attractivité extrêmement importante », qui « va perturber toute l’année 2025 ».
« Aujourd’hui, la profession en crise, ce sont les infirmiers », pointe Patrice Gauthier, président de la fédération des professions libérales de santé. « C’est l’arbre qui cache la forêt, beaucoup de gens s’en vont. » La fédération va prochainement diffuser un sondage réalisé par Quidnovi. Un chiffre inquiète Patrice Gauthier : « 600 personnes, toutes professions confondues, envisageraient de partir ».

  • LE NICKEL DANS L’EXPECTATIVE

Le secteur de la mine a été particulièrement touché par la perte d’emplois. La fermeture de KNS a conduit au licenciement de plus d’un millier de salariés, auxquels s’ajoutent les 230 employés SLN du centre minier de Thio. Selon l’Isee, « la crise du nickel affecte également l’industrie extractive qui perd 160 emplois en 6 mois ». « À KNS, des personnes dont les compétences sont les plus recherchées au niveau international sont parties avant même la fermeture de l’usine », observe Philippe Martin, directeur de la DTEFP.
Le secteur a d’ores et déjà subi une première saignée de métiers qualifiés. « Les industries n’ont pas de problème de recrute- ment du fait de la baisse d’activité », estime Julien Barras, président de la commission emploi-formation du Medef-NC. « Mais aujourd’hui, il y a une crainte, pour le futur, de la fuite des compétences, parce qu’elles sont financées pour le moment par le chômage partiel exaction. »

  • LES CRAINTES DU BTP

Le constat est similaire dans le secteur du bâtiment et des travaux publics en crise depuis des années. « Au 3e trimestre 2024, le secteur de la construction comptabilise 4 600 salariés, soit 1 300 salariés de moins qu’en mars. L’emploi chute à son plus bas niveau », détaille l’Institut de la statistique.
La construction ne manque pas à proprement parler de compétences puisque l’activité décline. « Mais on va devoir licencier et, si cela dure trop longtemps, les employés vont partir », observe Benoît Meunier, président de la FCBTP. Il craint que plusieurs métiers manquent à l’appel, notamment les techniciens, les électriciens, les chefs de chantier ou d’équipe, « quand il y aura la reprise ».

Fabien Dubedout

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