[DOSSIER] Des secours à bout de souffle

Le centre de première intervention de Tontouta a été incendié en juin alors qu’il était en cours de finition. © SSLIA

Aux incendies urbains causés par les émeutes dans le Grand Nouméa se succèdent les feux de brousse. Débordés et malmenés, les sapeurs-pompiers sont au point de rupture.

L’usure touche les humains comme le matériel. Les interventions se sont enchaînées à un rythme infernal pour les sapeurs-pompiers du Grand Nouméa depuis le 13 mai. Aujourd’hui, les soldats du feu doivent trouver un second souffle. « On a un beau pays, mais il commence à partir en cendres », résume Mauro Pizzolitto, président de l’Union des pompiers calédoniens.

Au plus fort des émeutes, les professionnels et les volontaires ont connu une activité inhabituelle, tant par son intensité que par sa nature. En perpétuelle adaptation, les femmes et les hommes sont épuisés, physiquement et moralement. « Nous avons des pompiers totalement en burn-out, dont des personnes qui ont 30 ans d’expérience », souligne Alexandre Rossignol, officier de communication à la Sécurité civile.

UNE PERTE DE MATÉRIEL

Les corps et les esprits ont été malmenés. Les équipements aussi. Les équipes du Grand Nouméa peinent à compter les pneus crevés, les tuyaux percés ou encore les protections usées ou perdues. « Nous estimons les dégradations de matériel à plusieurs millions de francs », assure Anthony Guépy de la Direction des services d’incendie et de secours de Nouméa.

À La Foa, un véhicule feux de forêt a été volé en juin au sein du centre de secours. Bien que récupéré, l’engin n’est pas opérationnel. « On ne peut pas se permettre de perdre quoique ce soit en ce moment », estime Maël Kerleguer, le chef de corps.

Les plus grandes pertes sont finalement des équipements à venir. Dans la nuit du 27 au 28 juin, le centre de première intervention de Tontouta a été incendié, un projet de longue date destiné à réduire les délais d’intervention dans le nord de Païta. Dans la nuit du 14 mai, une autre disparition a eu lieu, discrète et pourtant indispensable au territoire. Le centre unique de régulation et de traitement des appels 15/18 (CURTA) a été perdu lors de la destruction de l’immeuble Le Santal, à Dumbéa. « C’est un outil qui devait coordonner l’ensemble des secours de la Nouvelle-Calédonie », explique le capitaine Alexandre Rossignol. Un projet à 400 millions de francs qui devait être lancé le 1er octobre et être pleinement exploité pour la saison des feux de Brousse. « Cela nous fait repartir 10 ans en arrière. »

SOLIDARITÉ NATIONALE ET LOCALE

Au-delà de l’équipement, les secours s’inquiètent du manque de bras. Notamment du départ de volontaires expérimentés. « Ce sont des couples qui ont perdu leur travail ou ne pouvaient plus payer le loyer, note le président de l’Union des pompiers calédoniens. Certains sont même repartis en Métropole. »

À l’inverse, les casernes voient arriver de nouveaux profils. « C’est triste, mais il y a des gens qui viennent parce qu’ils n’ont plus de travail », souligne Maël Kerleguer. Les sapeurs-pompiers locaux ont pu compter sur la présence en moyenne de 200 renforts de l’Hexagone, des professionnels mais aussi des volontaires. Cette arrivée a permis aux secours locaux de souffler et de mettre en place un centre de première intervention au nord du Mont-Dore.

« Il y a une énorme solidarité nationale », s’enthousiasme l’officier de communication de la DSCGR. « L’État a aussi fait venir une quinzaine d’ambulances et de camions offerts par les départements. Ce sont des véhicules qui ne repartiront pas. » L’Union des pompiers calédoniens attend également l’envoi de deux camions offerts par la Corse.

Signe du changement, les renforts spécialisés en incendie urbain sont progressivement remplacés par des professionnels des feux de forêt. Les sapeurs-pompiers calédoniens affrontent maintenant une saison sèche classique. Mais au-delà des pertes matérielles, ils espèrent surtout reconstruire une relation apaisée avec la population. Le centre d’incendie et de secours à Koné en a eu l’heureuse expérience. « On a eu véritablement un soutien de la population qui nous a apporté de l’eau, des gâteaux, de la nourriture, que ce soit à la caserne ou sur intervention », raconte le commandant Sylvio Loquet, reconnaissant.

Fabien Dubedout

UNE PÉRIODE DE DOUTE
Au plus fort des émeutes, les sapeurs-pompiers ont été la cible d’exactions. Une situation inhabituelle pour les soldats du feu. « On a trouvé des bonbonnes de gaz, dont certaines avec des clous, dans les broussailles incendiées », se souvient un pompier du Grand Nouméa. « Il y a une volonté de blesser, même plus, de tuer des pompiers. On n’a pas signé pour se faire agresser. »
En juin, le centre d’incendie de La Foa a fait l’objet d’une intrusion. « Il y a eu un sentiment d’incompréhension. Pourquoi ces actions contre les pompiers ? », s’interroge le chef de corps. Ces épisodes ont particulièrement perturbé ces volontaires issus de toutes les ethnies du pays. « Ce qui a été le plus difficile à vivre, c’est aussi l’impossibilité de pouvoir intervenir sur des feux à cause des barrages », se désole le capitaine Alexandre Rossignol.

 

POUM GRANDE BRÛLÉE

Entre le 15 et le 22 septembre, 2 535 hectares ont brûlé dans le Grand Nord. Poum a été particulièrement touchée par le sinistre. « C’est tout noir, ce n’est pas beau à voir », observe, résignée, Henriette Tidjine-Hmae, maire de la commune. Un triste spectacle qui revient d’une année sur l’autre. « Ce sont toujours les mêmes feux, les mêmes endroits », constate Éric Blum, pompier au SIVM Nord, qui regroupe Poum, Koumac et Kaala-Gomen.

Face à cet incendie, la commune a manqué de bras et de matériel. La venue d’un hélicoptère bombardier d’eau était aussi espérée plus tôt. « On a été obligés de puiser dans nos réserves d’eau pour donner les moyens aux équipes de combattre le feu », regrette la maire. Une ressource rare sur la pointe nord de la Grande Terre. La Sécurité civile assure qu’un hélicoptère sera d’astreinte à Koné pendant quatre mois à partir du 10 octobre.