Durant plusieurs mois, les syndicats de l’enseignement ont recueilli les peurs, les doléances et les envies des enseignants et du personnel éducatif. État des lieux d’une profession dans l’incertitude.
Des appels par centaines. Des visites sur tout le territoire. Des réunions à n’en plus finir. Les représentants syndicaux ne ménagent pas leur peine depuis le 13 mai. Une activité accrue, révélatrice d’une profession bousculée. Les premières semaines après les exactions ont été une période de doute profond. « Quand on a repris, on a eu des centaines d’appels de gens qui nous demandaient comment partir en disponibilité, en France… Passé le cap, les gens se sont aperçus que ce n’est pas si facile », relativise Larissa Thonon, chargée de l’enseignement primaire public à l’union territoriale CFE-CGC, syndicat majoritaire dans l’éducation.
Autre interrogation : comment accueillir des élèves dont certains ont participé aux barrages et aux barricades ? « Au début, il y avait une crainte. Au final, la reprise s’est souvent très bien passée, à un ou deux élèves près qu’il a fallu recadrer, relate Fabienne Kadooka, chargée du secondaire public. Ça a été une bouffée d’oxygène pour tout le monde. » Jordane Lefebvre, de l’enseignement privé, met un bémol. « L’ambiance en classe n’est pas la même. Tout un chacun essaie tant bien que mal de respecter l’obligation de neutralité et de réserve. »
UNE PERTE DE REPÈRES
Les syndicats n’ont pas observé non plus de hausse des congés maladie. À la marge, des arrêts d’enseignants ayant subi des exactions ou craignant le trajet vers leur lieu de travail. L’ambiance anxiogène de certaines zones scolaires aura des conséquences à plus long terme. « C’était déjà compliqué de recruter des enseignants sur la Brousse, ça va l’être encore plus », annonce Stéphanie Uichi, secrétaire générale du syndicat des enseignants de la Fédération des fonctionnaires (la Fédé).
Aujourd’hui, « l’inquiétude concerne les jeunes qui sont en classe d’examen », insiste Stéphanie Uichi. En plus des retards accumulés, les enseignants voient leur charge de travail augmenter avec les cours en présentiel et la continuité pédagogique. Les équipes redoutent globalement une dégradation des conditions de travail, avec de nombreuses incertitudes pour la rentrée 2025. « Il y a une inquiétude générale des enseignants pour les salaires. D’autant que beaucoup sont mariés à des gens du privé, qui ont déjà perdu leur travail », indique la responsable du primaire à la CFE-CGC.
Une appréhension accrue dans le secteur privé. « C’est ce qu’on craint le plus en tant que représentant du personnel, que des postes soient supprimés, s’alarme Jordane Lefebvre. Les enseignants, mais aussi le personnel éducatif, administratif et de service se demandent : ‘’Est-ce qu’en 2025, j’aurai toujours un emploi ?’’. »
Dans le public, la perte de postes concerne plutôt les contractuels. Dans un courrier daté du 15 octobre, la présidente de la province Sud prévient que « le budget dédié au paie- ment des salaires des remplaçants devra malheureusement être réduit de plus de la moitié ». « Les remplaçants, dont des contractuels que l’on a depuis des années, risquent de ne pas être repris l’année prochaine. Cela va alourdir les gens au chômage », pressent Larissa Thonon.
Les émeutes ont aussi laissé de profondes blessures dans la conviction même des enseignants. « Tous ces jeunes qui se sont retrouvés dans la rue, qui auraient dû être à l’école et pas sur les barrages, quelque part, on a aussi failli dans l’enseignement », questionne Fabienne Kadooka, de la CFE-CGT. Même son de cloche à la Fédé. « Pour nous, c’est un constat d’échec. Voir cette jeunesse en colère dans la rue qui casse et qui détruit, on a l’impression de porter une part de responsabilité parce que nous les avions dans nos classes, regrette Stéphanie Uichi. Il y a beaucoup de découragement. Des enseignants s’interrogent : ‘’À quoi je sers ?’’. »
Fabien Dubedout