Abreuvés d’élections ces dernières années, les Calédoniens s’expriment avec un certain conservatisme. La distribution des suffrages varie bien peu.
Déposer un bulletin dans l’urne. Les Calédoniens connaissent le geste par cœur. Depuis 2017, les électeurs se rendent quasiment tous les ans dans l’isoloir. L’expression des trois corps électoraux calédoniens permet de suivre de multiples évolutions. Dont celle sur la question institutionnelle. Le résultat des scrutins provinciaux offre le meilleur recul. La conclusion est d’ailleurs simple : « Il y a eu très peu de variation, en 30 ans, entre indépendantistes et non-indépendantistes » résume Pierre-Christophe Pantz, docteur en géopolitique et enseignant-chercheur à l’Université de la Nouvelle-Calédonie.
« L’évolution a néanmoins profité au camp indépendantiste depuis l’accord de Nouméa, à hauteur de +2,18 points, entre 1999 et 2019. » Une hausse qui pourrait être interprétée, notamment, comme la traduction électorale de l’inscription de la Nouvelle-Calédonie sur le chemin de la décolonisation. Les chiffres témoignent d’une dégradation du vote non indépendantiste dans les provinces Nord et des Îles. En clair, une fracture s’est établie, « les minorités ont été largement minorées dans le système provincial » ajoute l’universitaire. Ce qui complique l’existence même de courants ou partis, face à une majorité robuste.
PEU DE « SWING STATES »
L’étude des chiffres et de la cartographie des élections provinciales atteste d’« un très fort conservatisme de la répartition des suffrages, quel que soit le camp politique ». Autrement dit, le phénomène des “swing states”, ces États américains pouvant faire pencher le résultat du côté républicain ou démocrate, n’existe pas ou bien peu en Nouvelle-Calédonie. Au fil des passages dans l’isoloir, une commune votera toujours loyaliste ou indépendantiste, et dans les mêmes proportions ou presque. À quelques exceptions près, comme l’île des Pins ou Pouembout.
Une stabilité s’impose donc aux élections provinciales. Un vote qui mobilise beaucoup l’électorat d’ailleurs, bien plus qu’à la présidentielle et aux législatives. Néanmoins, depuis 2004, le taux de participation fléchit avec constance à cet enjeu territorial déterminant pour la composition des assemblées provinciales et du Congrès : une baisse d’au moins 10 points en 15 ans. Cette érosion peut aussi s’expliquer, selon l’enseignant, par « une forme de conservatisme à l’excès de la classe politique ». La transition est compliquée. Les femmes et les jeunes ont peu de place dans les hémicycles, surtout du côté indépendantiste.
MOBILISATION
Le vote aux séquences référendaires a illustré la progression de la revendication indépendantiste, entre 2018 et 2020 : le Oui à l’indépendance est passé de 43,33 % à 46,74 %, contre 56,67 % à 53,26 % pour le Non. La troisième consultation d’autodétermination s’est déroulée le 12 décembre 2021, et le président de la République a reconnu son résultat confirmant ainsi le maintien de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République.
La comparaison avec les deux scrutins antérieurs est toutefois impossible, puisque la participation a été faible, près de 44 %, à la suite de l’appel au boycott formulé par les indépendantistes. Sauf sur un point : la répartition de l’abstention. Ainsi « cette abstention se confond exactement avec la cartographie du camp indépendantiste et pas seulement, estime Pierre-Christophe Pantz. La progression du suffrage indépendantiste entre le premier et le deuxième référendum est observée essentiellement dans les communes où la participation était timide, où il y avait encore des réserves de voix. Je pense notamment aux collectivités de la province des Îles ainsi que dans le Grand Nouméa. » Et des réserves de suffrages en faveur de la sensibilité pro-Kanaky existaient toujours, dans la perspective du troisième scrutin d’autodétermination, estime le chercheur. Dans ce cadre, les élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 ont été surprenantes. Puisque « la mobilisation du camp indépendantiste, qui pour une part a plutôt tendance à s’abstenir, fait à chaque fois déjouer les pronostics », analyse le docteur en géopolitique.
Une question dès lors se pose. Si la couleur politique du vote est géographiquement établie et le soutien au candidat ou à la liste est quasi mécanique, existe-t-il un recul par rapport au contenu du programme électoral ? La décrue du taux de participation n’est-elle pas alors le reflet d’un désintérêt d’une partie de la population calédonienne envers la politique institutionnelle ? Le constat aux élections municipales est révélateur : la proximité mobilise toujours.
Yann Mainguet