[DOSSIER] Denis Étournaud : « La reconstruction doit venir vite »

« Toutes les moyennes et grandes surfaces vont rester à Ducos, parce que toute la clientèle est autour », soutient Denis Étournaud. (@ Yann Mainguet)

Figure du monde économique, fin connaisseur de Ducos, une zone que ce chef d’entreprise a intégrée il y a 50 ans, Denis Étournaud milite en faveur de l’élaboration d’un plan Marshall post-émeutes.

DNC : Êtes-vous un des premiers à avoir cru en la zone industrielle de Ducos ?

Denis Étournaud : Oui. Dans les années 1970, on voyait, à cet endroit, des petits artisans, des garages, des vieux docks et surtout des sous-traitants de la SLN. Il y avait des terrains vides, très peu de commerces.
J’ai fait venir des experts dans les années 1980 pour observer l’urbanisation de Nouméa et du Grand-Nouméa. Selon ces spécialistes, la zone de Ducos allait passer de petits artisans ou mécanos à des moyennes et grandes surfaces spécialisées dans les meubles, la quincaillerie, l’électricité, les pièces détachées, l’automobile… Autrement dit, tout le développement de Ducos allait s’orienter vers cette catégorie d’activité parce qu’il y avait déjà les problèmes de Saint-Louis, Panda était un peu loin… Pour les experts, les petits artisans, garagistes… allaient se déplacer vers des zones plus éloignées et moins chères et laisser la place à des moyennes surfaces. D’après les études, plus de 35 000 voitures entraient dans Ducos tous les jours. Avec toute la population qui venait travailler à Ducos et à Numbo et faisait une pause le midi, allait se créer un grand besoin de snacks, de restaurants, d’alimentation, de coiffeurs.

Les entreprises recherchaient-elles de grands espaces ?

Fin des années 1980, il n’y avait pas vraiment de développement de nouvelles zones d’activités économiques importantes. Le centre-ville comptait des petits commerces, des administrations, l’hôpital, mais peu d’activités économiques. Celles-ci avaient donc besoin d’une zone de développement. Le monde économique a cherché des zones géographiques stratégiques. Les gens veulent être sur les grands axes. Et il y a un bassin d’emplois avec les gens qui habitent à Montravel, Kaméré, Tindu, Logicoop… Une population vit autour de Ducos, plus de 10 000 habitants.

La zone avait-elle toujours la cote avant le 13 mai ?

Il y avait toujours une grosse demande de locations, des acheteurs… Plus de demandes que d’offres. À l’heure actuelle, des gens y achètent pour pouvoir relancer leurs activités. C’est le poumon économique de la Nouvelle-Calédonie. Une grosse partie des sous-traitants miniers est à Ducos et à Numbo. C’est une zone stratégique qui accueille deux des trois pétroliers, le gaz, le ciment…

Avez-vous été surpris par l’ampleur des exactions ?

Oui. Nous avons réalisé que l’État n’a pas anticipé la situation. Ducos n’a pas été protégée pendant plus d’un mois et demi. Les destructions ont donc continué.

Le 13 mai a-t-il marqué un coup d’arrêt au quartier ?

Je ne pense pas. Mais cet événement a traumatisé beaucoup de patrons. Si ce pays se reconstruit relativement bien et vite, le point stratégique sera toujours Ducos. Nous nous sommes protégés nous-mêmes. Les dégâts auraient pu être monstrueux. Nous avons fait une association de Numbo et une de Ducos, car nous n’étions pas protégés. Cela coûte des dizaines de millions de francs par mois en protection par des sociétés privées.

Les émeutes vont-elles transformer la zone industrielle ?

Oui. Les gens de Ducos vont rester en association de défense de quartier. Nous allons avoir le soutien de sociétés privées et nous allons être, je pense, beaucoup plus en contact avec la gendarmerie, la police et l’État pour bloquer les trois axes d’entrée dans Ducos et éviter que des terroristes entrent et détruisent tout. Il faut que l’État protège les grands bassins de population que sont Kaméré, Logicoop et Tindu.

Et une transformation sur le plan industriel ?

Je pense qu’une grande partie de ce qui a été détruit va être reconstruit, mais dans des termes légèrement différents, en tenant compte davantage de la sécurité des biens et des personnes. Comment protège-t-on le futur Ducos Factory, les concessionnaires de voitures ? Par des sociétés privées.

Des chefs d’entreprise veulent-ils partir ?

Non. Pour aller où ? Le port est à côté. Ducos restera le poumon économique. Les entre- prises ne vont pas l’abandonner, selon moi. Celles qui vont partir vont laisser une place qui sera prise par d’autres. Je l’avais dit à Michel Rocard (ancien Premier ministre, signataire des accords de Matignon). Nous avions une opportunité d’avoir une base avancée des gros groupes français et européens dans le Pacifique ici. C’est ma vision.

Avec un peu de recul, pourquoi a-t-on frappé Ducos ?

Parce que c’était facile et on visait « le capitalisme ». Brûler un grand bâtiment était symbolique et marque les esprits. Je pense que ces attaques des entreprises ont été faites davantage par opportunité.

Mais les entreprises touchées auront-elles la capacité de rebond ?

C’est là où l’État et nos politiques calédoniens doivent élaborer un plan Marshall économique de reconstruction. 30 % des emplois du privé vont disparaître, 20 000 familles. Si l’État ne le fait pas, nous sommes en banqueroute.
Il faut trouver des nouveaux secteurs d’activité, aller vers une autosuffisance alimentaire. Beaucoup de déconstruction se font depuis un peu plus d’un mois, ça va vite. Maintenant, il faut que la reconstruction aille vite, je l’espère début 2025. L’État aura une obligation de régler le problème des assurances.

Propos recueillis par Yann Mainguet