Les émeutes de 2024 ont été principalement urbaines, avec pour cible l’activité économique dans l’agglomération. Un an après, à Dumbéa ou Païta, les cicatrices sont là, mais la vie reprend doucement son cours.
Jeune commune en plein développement, deuxième la plus peuplée de Nouvelle-Calédonie, Dumbéa a payé le prix fort des exactions. Au lendemain des émeutes, le maire, Yoann Lecourieux, se désolait d’un « massacre », d’une « ville anéantie ».
Plateforme de Carrefour, zone de Dumbéa Mall jusqu’au Médipôle, centre historique d’Auteuil, quasi-totalité d’Apogoti, stations-service, deux écoles, hôtel de police, restaurant de la piscine de Koutio, mur d’escalade, bureaux de mairie, Studio 56… La ville a presque tout perdu. Les dégâts sur les biens publics sont évalués à 1,8 milliard de francs et 80 % du tissu économique s’est évaporé avec la perte d’environ 3 000 emplois.
« CASSURE »
Aujourd’hui, évidemment, pas de retour à la normale, mais « la ville revit, tout le secteur associatif aussi, comme les services qui n’ont pas été détruits, indique Yoann Lecourieux. On a même certains commerces qui ont rouvert ou qui sont en cours de reconstruction, ce qui est bon signe ». Des réflexions sont engagées pour redévelopper la zone de Carrefour avec des privés, la place Sagato à Auteuil, mais la projection est plus compliquée vers le Leader Price d’Auteuil ou sur les copropriétés du boulevard Wamytan, près du Médipôle. Les stigmates des incendies sont toujours visibles, même si la ville « s’est engagée à tout démolir au niveau public avant mars, avec le soutien financier de l’État ». Les mécanismes sont plus lents dans le privé.
Les populations, visiblement, n’ont pas fui. « Je ne pense pas que Dumbéa ait perdu beaucoup de monde, c’est une commune d’accession à la propriété, explique le maire. Les bailleurs sociaux font aussi état de visites pour venir s’installer. »
Mais les résultats du recensement en cours sont très attendus. La collectivité a vu fondre un tiers de ses revenus. La priorité est aux travaux déjà engagés, à la reconstruction quand le soutien de l’État est possible. Il y a ensuite des choix d’organisation, moins d’intervenants extérieurs, de passages sur l’entretien des espaces verts, de manifestations, même si la mairie est attentive à maintenir des activités.
Après la phase de reconstruction, « se posera véritablement la question de quel type de leviers on utilisera pour toucher une partie de la jeunesse qui peut se sentir en marge ». Yoann Lecourieux observe « une cassure » entre ses administrés. « La reconstruction des cœurs ne va pas être facile, mais on n’a pas le choix. » L’inquiétude immédiate est d’amortir la crise sociale et de prévenir une « crise de la faim ».
Depuis quelques semaines, un signe : « des vols d’opportunité sur la nourriture et les vêtements ». Brocantes et autres actions sont favorisées. « On compte sur l’entraide et la solidarité ». Et plus largement sur « la relance de l’économie ».
SÉCURITÉ
À Païta, les destructions des biens publics sont de l’ordre d’un milliard de francs : locaux de la mairie, une école, la voirie, l’éclairage public, les caméras de vidéosurveillance, un club-house, un club sportif… Ce montant n’inclut pas les structures déjà démolies et prises en charge.
Le gros de l’insurrection s’est concentré sur le cœur du village avec l’échangeur nord, structure provinciale, entièrement refaite. « Un an après, le village a retrouvé une partie de son activité économique et de services, renseigne Antoine Romain, secrétaire général, notamment l’agence OPT, une des agences bancaires. Moins de 50 % des commerces détruits ont été rasés et sont en cours de reconstruction. Les autres sont à l’état de dalles. Ceux qui avaient été pillés sont encore vides, faute de financement pour les relancer. Au moins une quinzaine de commerces n’ont pas prévu de rouvrir, ce qui est important à l’échelle du village ».
Les trois zones industrielles ont été protégées par les voisins vigilants et les chefs d’entreprise, mais elles sont affectées par l’effondrement de l’activité économique.
Antoine Romain fait état d’une petite diminution de la population scolaire, suivie de près, mais rien de significatif.
Les relations ont souffert dans cette commune multiethnique (« environ 30 % de Kanak, 30 % d’Européens et 30 % de Wallisiens ») où les uns et les autres vivaient plutôt en bonne entente. « Un coup dur a été porté à l’idée et à l’exercice du vivre-ensemble. »
Par ailleurs, selon le secrétaire général, l’inquiétude est toujours très prégnante, typiquement lors de cet anniversaire, et la demande de sécurité très forte, même si les chiffres de la délinquance n’ont pas augmenté.
AIDE SOCIALE
La crise sociale est également tangible. Les services sociaux sont davantage sollicités pour les aides au logement, au transport, les bons alimentaires. « Avec l’annonce de la fin de certains dispositifs type chômage partiel, la crainte est qu’on ait encore plus de situations de précarité, voire de très grande précarité », s’inquiète Antoine Romain.
Or la collectivité n’a pas les capacités budgétaires pour répondre à tous les besoins. Elle doit fonctionner avec quatre milliards sur cinq, soit « le budget de 2015 avec 10 000 habitants en plus ». Les efforts sont très importants en matière de fonctionnement avec la crainte d’une « dégradation du service public ». Sur l’investissement, il y a moins d’aides aux associations, le transport scolaire déficitaire a été arrêté, mais les tarifs des cantines et des garderies n’ont pas augmenté. Il y a très peu de visibilité sur 2026, simplement l’espoir du retour des recettes de la Nouvelle- Calédonie et la poursuite des aides de l’État. La commune fera « au mieux ».
Chloé Maingourd