[DOSSIER] Coup de projecteur sur l’audiovisuel

La 24e édition du festival de La Foa a réuni la semaine dernière une partie du monde audiovisuel. L’occasion de s’intéresser à ce secteur très dynamique, gorgé de professionnels formés, et qui présente des atouts culturels, économiques et de rayonnement formidables malgré des difficultés certaines de développement.

Réalisateurs, cadreurs, monteurs, fixeurs, traducteurs, pilotes de drones … Il existe une multitude de professionnels de l’audiovisuel sur le territoire. Un vivier de 165 personnes environ, patentés pour la plupart, qui exercent une vingtaine de spécialités. Il y aurait 45 sociétés de production, affairées sur leurs propres projets ou ceux des autres avec, parfois, des coproductions avec des sociétés extérieures. Leur point commun ? Une passion pour l’image et les histoires, réelles ou imaginées.

Soutien 

Ces professionnels sont très occupés en cette période post-crise qui a éprouvé le milieu. Un rattrapage s’opère sur les projets mis en suspens. Une cinquantaine est menée chaque année. « Les trois quarts sont des documentaires. La Nouvelle-Calédonie est l’un des territoires français d’outre-mer les plus productifs, explique Manon Bordaberry, assistante au bureau d’accueil des tournages de la province Sud (BAT). Et il y a un quart de fictions. Elles sont bien plus onéreuses à produire, notamment parce qu’elles impliquent beaucoup plus de monde et sont moins facilement diffusées. » De fait si on peut vivre du documentaire, on ne vit pas de la fiction. Seuls les longs métrages pourraient être rentables à condition de les exporter et de les aider massivement.

La production locale est soutenue. Tous les projets ou presque passent par le fonds audiovisuel et cinématographique (FACNC) du gouvernement, doté d’une enveloppe moyenne annuelle de 125 millions de francs ces dernières années. Il est indispensable à la filière. 229 projets ont été soutenus depuis 2017 pour 745,5 millions de francs selon le membre en charge de l’audiovisuel, Yoann Lecourieux, accompagné sur ce dossier de son collaborateur, Sylvain Bourget. Il promet une enveloppe globale de 130 millions en 2022 avec une augmentation des participations pour certains contributeurs (lire par ailleurs).

Des aides du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) peuvent aussi s’ajouter, même si visiblement elles nécessitent un intense travail d’écriture et de développement. Le bureau d’accueil des tournages apporte, par ailleurs, depuis 2005 un accompagnement gratuit aux équipes (technique, administratif, recensement des professionnels) et contribue au développement et à la structuration du secteur. « Il constitue une porte d’entrée pour tout projet », poursuit Manon Bordaberry qui œuvre aux côtés de Bénédicte Vernier, pilier de cette structure.

Les professionnels peuvent aussi s’appuyer sur plusieurs diffuseurs avec une longue tradition de coproduction, NC La 1ère, Caledonia et Canal+ Nouvelle-Calédonie qui commence aussi à miser sur la fiction.

Les cinémas projettent principalement des courts métrages et les festivals Ânûû-rû Âboro, La Foa, Sublimage et Le Fifo sont d’autres vitrines qui représentent une locomotive pour les réalisateurs. Les subventions du gouvernement et de la province Sud à leur égard seront là aussi maintenues en 2022. La formation enfin se résume à une section audiovisuelle au lycée Lapérouse et à des rencontres et autres master class dans les festivals. Mais nombre de jeunes ont profité de bourses et d’aides pour aller se former à l’extérieur.

Une future industrie ? 

Conséquence de ces années de soutien, les documentaires ont foisonné, quelques fictions sont parvenues à s’exporter (NI28) et sont montées en qualité technique (The Rob Mission). Des productions extérieures, localisées tout ou en partie ici, ont eu un certain retentissement (Mercenaires, OPJ). Des Australiens ou des Asiatiques sont venus tourner des émissions.

Selon Yoann Lecourieux, la filière est essentielle pour véhiculer « les images du territoire, la ville, la Brousse, les niches comme les sports extrêmes, les spécialités culinaires ou les cultures. C’est grâce à elle que les touristes, les curieux peuvent venir chez nous ».

S’il fait état de retombées économiques annuelles directes de l’ordre d’1,3 milliard de francs hors diffuseurs, l’impact global est difficile à mesurer. « Il y a les retombées directes pour les professionnels du secteur, les sociétés et prestataires qui interviennent à l’occasion des tournages (transport, hébergement, restauration, etc.), mais il y a aussi toutes les retombées indirectes de publicité dans les médias, de promotion du patrimoine, de la culture, de l’histoire », liste le membre du gouvernement qui aimerait faire de cette filière une « véritable industrie ».

Sur le tournage de The Rob Mission. ©Bureau d’accueil des tournages de la province Sud/ Niaouliwood. 

Sanctuariser les budgets 

Si les dispositifs ont été structurés et affinés, les difficultés persistent. Les aléas politiques en particulier pèsent lourdement. « La situation institutionnelle l’année dernière n’a pas permis de réunir la commission du fonds audiovisuel », rappelle Manon Bordaberry.

En effet, il n’y a pas eu de gouvernement durant six mois et donc pas de commission, une situation qui a mis en péril beaucoup de sociétés.

« Cela reste très complexe, confirme Catherine Marconnet, présidente de la fédération indépendante des producteurs audiovisuels (Fipa NC). On ne sait jamais de quoi demain sera fait. » Dorothée Tromparent, également membre de la Fipa, souligne une tradition de non-intervention sur le plan éditorial et « une grande liberté ». Et si le fonds est « relativement bien doté », il faut que ses budgets soient « sanctuarisés ». « Le secteur qui comprend essentiellement de petites et moyennes entreprises ne peut s’engager dans des embauches, des formations, du démarchage sur le marché national ou international sans cette visibilité », souligne Catherine Marconnet.

Se pose aussi, pour la Fipa, la question de la visibilité de l’outre-mer au niveau national en chute libre selon une récente étude de l’Arcom (ex-CSA), et plus largement du devenir de l’audiovisuel public dont le secteur est « largement dépendant ». Enfin, comment faire de la Nouvelle-Calédonie une terre de tournage comme l’ont fait la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la Polynésie ou Fidji ? « Ici, ça n’a pas encore été organisé. On fonctionne au coup par coup, au coup de cœur. Il faut des critères très précis pour attirer des productions extérieures. Sans cela, personne n’est rassuré, ni les prods internationales ni les producteurs et techniciens locaux. »

Volonté politique forte 

L’association calédonienne des producteurs de fiction (ACPF) regroupera bientôt une douzaine de producteurs/réalisateurs. Selon Terence Chevrin, son président, « c’est un milieu qui a envie de se développer, qui en a la capacité, qui est porteur d’emplois, mais qui manque d’outils et de moyens. On doit s’autoproduire, on n’a pas la capacité d’en vivre, d’embaucher, d’avoir des locaux, des structures. On produit à la maison. Parfois on ne bosse pas 6 à 8 mois, faute de budgets ».

L’ACPF fait état d’un « vrai déséquilibre » sur le soutien des chaînes entre le documentaire et la fiction, même si Canal+ est devenu un « partenaire de la fiction ». Et estime que l’enveloppe du fonds est trop restreinte pour tout le secteur, même si l’association se satisfait qu’elle soit maintenue. « Il y a un écrémage assez cruel lors des commissions. Le montant de la demande annuelle est fou par rapport à ce qui arrive », souligne Terence Chevrin.

Parmi les idées émises : l’investissement de partenaires privés dans l’audiovisuel et, surtout, une volonté politique forte. Il suggère aussi un studio de cinéma qui pourrait « employer des gens à l’année, créer des emplois, fidéliser les professionnels ».

Du côté du gouvernement, plusieurs pistes sont engagées ou envisagées : la consolidation des budgets, l’intégration d’autres partenaires au fonds, l’approfondissement des relations avec le CNC. L’ambition est aussi d’ouvrir des fenêtres de diffusion au niveau national (France Télévisions, Canal+), mais aussi dans la région, avec un financement pour le doublage. Il pourrait s’agir de festivals de courts métrages en Australie et en Nouvelle-Zélande, ou encore le Wala Festival à Singapour. Des assises de l’audiovisuel sont imaginées avec une volonté de faire participer des partenaires comme France Télévisions ou le CNC. Un travail est aussi effectué sur les taxes que pourrait récupérer le secteur, la redevance sur la copie privée. Enfin, on admet qu’il faut à nouveau « porter la parole » pour faire connaître la Nouvelle-Calédonie comme lieu de tournage.


Une étude sur la filière

Une étude par la fédération indépendante des producteurs audiovisuels (FIPA) et le bureau des tournages de la province Sud est en cours de finalisation. Outre un état des lieux, elle propose des pistes de développement pour la filière « pour que, quel que soit l’avenir, les institutions et les politiques aient les données en main et voient que c’est une filière viable », explique Catherine Marconnet de la Fipa.


Quels projets ?

Le bureau des tournages de la province Sud annonce un vivier important de fictions pour le prochain festival de La Foa. La série 100 % locale – Neuf Grains – est en préproduction. La Nouvelle-Calédonie va accueillir des programmes télé de Métropole (émissions religieuses, Invitation au voyage, L’histoire secrète des paysages pour Arte et une série
L’amour à l’épreuve). Pour l’instant, il n’y a pas de tournages étrangers en perspective. Les sociétés extérieures sont éligibles aux aides à condition d’être accompagnées par des sociétés locales.


Qui contribue au fonds audiovisuel ?

Le comité de gestion est composé de représentants des trois provinces, de l’État et de deux membres experts qui ont des voix délibérantes. Les diffuseurs, l’OPT, Lagoon, la Fipa et l’ACPF ont une voix consultative. Cette année, les contributeurs ont « augmenté ou maintenu leur contribution », indique Yoann Lecourieux. Le gouvernement est à 53 millions, la province Sud sera « probablement à 50 », la province Nord 4,5 millions, la province des Îles 500 000 francs. On trouve également NC La 1ère, Caledonia, l’OPT, Lagoon. Il doit y avoir en principe deux commissions par an.

Chloé Maingourd

©BAT province sud

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