Véritable lieu de passage aux portes du centre-ville, la Vallée-du-Tir a constitué un point sensible lors des violences qui ont suivi le 13 mai 2024. Les raisons de cette flambée apparaissent plus sociales que politiques.
« Ce quartier, qui préserve l’identité calédonienne, s’offre à la mixité sociale où le destin commun se forge chaque jour à la lumière de son histoire et de sa culture. » La mairie de Nouméa décrit ainsi cette zone urbaine dans son « Parcours de la Vallée-du-Tir », publié en 2019. Une vision tenace dans l’imaginaire calédonien.
Cette vision idyllique des lieux a été écornée suite aux violences de mai 2024, notamment après l’incendie de commerces de proximité et d’habitations de particuliers. Bien que la zone figure régulièrement dans les chroniques de faits divers, l’intensité des exactions a surpris.
UNE BOMBE SOCIALE
« En mai 2024, nous avons été confrontés à la conjugaison de plusieurs phénomènes. L’erreur est de vouloir absolument établir une causalité uniquement à partir de données politiques, estime l’anthropologue Patrice Godin. Les gens avaient des revendications politiques, mais aussi un fort sentiment d’exclusion, de ne pas être entendus, d’être laissés pour compte. Ce sont des gens qui connaissent de nombreux problèmes de logement, de vie chère, de chômage, de sous-formation… », ajoute ce membre du collectif Pays pour le dialogue, qui a recueilli les témoignages des habitants.
Une bombe sociale dénoncée et documentée depuis longtemps. Dès 2008, l’Institut d’émission d’outre-mer soulignait, dans son rapport intitulé « L’habitat et le développement urbain dans le Grand Nouméa », la forte insalubrité de plusieurs zones de la ville, dont « le quartier du centre-ville (4,2 % des logements très insalubres) avec notamment la Vallée-du-Génie, le Quartier-Latin et la Vallée-du-Tir ». En 2022, dans son « Analyse des besoins sociaux, Nouméa portrait social », le bureau d’études Compas renseigne les nombreuses disparités d’un quartier à l’autre. Entre autres, il souligne que « les quartiers Vallée-du-Tir-Doniambo- Montagne coupée, Tindu-Numbo-Koumourou, Montravel, Ducos et Ducos-zone industrielle comptent entre 42 et 44 % de jeunes ni en emploi, ni en formation contre 26 % en moyenne communale. »
« Quand tout d’un coup plusieurs facteurs s’empilent ‒ les conflits politiques, les problèmes sociaux et économiques ‒, cela crée des situations auxquelles nous avons été confrontés », observe l’anthropologue.
VIVRE ENSEMBLE ?
Après l’incendie des premières maisons, l’heure était à la sidération. Traumatisée par les menaces, les insultes racistes et les caillassages, une habitante interrogée par DNC en juin 2024 témoignait : « Je suis Calédonienne, j’habite ici depuis 30 ans, et je subis ça de la part de gens à qui je dis bonjour d’habitude ».
Le quartier se caractérise par ses vagues d’habitation, de diverses origines. Les logements sociaux y côtoient des maisons coloniales, plus ou moins cossues. L’image d’un quartier mixte. « On s’est menti ces 40 dernières années, juge Florenda Nirikani, animatrice socioculturelle et figure du quartier. On dit que c’est un melting-pot, mais c’est de la cohabitation. On va se dire bonjour, mais on ne se connaît pas au final. On n’habite pas réellement les uns avec les autres, on habite les uns à côté des autres. C’est une vérité qui a éclaté à la figure de beaucoup de monde. » Très active auprès du comité de lutte de Vallée-du-Tir, l’animatrice rappelle, sans occulter les violences commises, que le quartier s’est aussi démarqué pour ses actions solidaires et que le mot d’ordre était de « casser les bouteilles d’alcool ».
UN LIEU CENTRAL
Même un an après, les perceptions de la Vallée-du-Tir restent contrastées, pour ne pas dire opposées. Au plus fort des émeutes, le haut-commissaire alors en poste, Louis Le Franc, évoquait le 17 mai 2024 « trois zones », dont « le contrôle n’est plus assuré » : Kaméré, Montravel et une partie de « la Vallée-du-Tir » où des « centaines d’émeutiers » recherchent « le contact avec les forces de l’ordre » et à poursuivre leurs « exactions ». À la Vallée- du-Tir, huit « points de mobilisation » ont été mis en place, de façon à quadriller la zone, car « les gens avaient peur de la milice », explique pour sa part une militante.
« Cette vallée a comme caractéristique d’être une sorte de quartier de transition entre le cœur de Nouméa et les quartiers périphériques. Et cela a fait qu’elle a été aussi la plus rapidement investie par les forces de l’ordre, soucieuses d’éviter tout débordement vers le centre-ville ou, plus loin, vers les quartiers sud », note Patrice Godin. La proximité du port autonome, de la SLN, de la route provinciale, mais aussi de la Vallée-des-Colons a rendu cette zone particulièrement cruciale.
« Un trait est caractéristique, analyse l’an- thropologue. Alors même que ces jeunes, et moins jeunes, des quartiers nord se sont soulevés, le mouvement n’a pas débordé sur le centre-ville et encore moins sur les quartiers sud. Il est resté à l’intérieur de ces quartiers. C’est très révélateur de ce type d’émeutes. Ceux qui ont le plus subi les conséquences des émeutes, ce sont les gens des quartiers nord et périphériques eux-mêmes. Il y a un aspect autodestructeur dans cette affaire. » Une situation qui lui rappelle des crises sociales comme celle des Gilets jaunes en France ou, aux États-Unis, lors d’émeutes dans les quartiers les plus défavorisés. Dernier exemple en date avec les émeutes à Los Angeles contre la politique anti-immigration de Trump.
F. D.