[DOSSIER] « C’était le Far West »

Les 12 et 13 novembre derniers, deux opérations de contrôle ont été menées à Nouméa, en collaboration étroite avec les autorités territoriales et les services de l’État. (© DR)

L’insurrection du 13 mai 2024 a ouvert la voie à des pratiques illégales, selon des professionnels du secteur de la sécurité privée. Des sociétés opéreraient sans agrément.

Des acteurs du monde économique calédonien parlent de « débrouille », voire de « concurrence déloyale ». Les émeutes du 13 mai 2024 ont fait bondir la demande des entreprises en matière d’opérations de sécurité.
Dès lors, jusqu’à la fin du mois de juillet, « c’était le Far West ! » déplore un professionnel du secteur. Dans ce chaos insurrectionnel, des individus se seraient autoproclamés gérants de société de sécurité, faisant fi des autorisations d’exercice et du code de déontologie. Combien ? Beaucoup, à entendre des patrons d’enseignes, elles agréées. « Ils “embauchaient” des gars sur le champ et les payaient “au black”. » Plus grave encore, sous une doctrine tout personnelle du « Il faut protéger nos biens », des anciens militaires ‒ « eux c’était des mercenaires » ‒ auraient été recrutés pour surveiller des espaces « avec gilet pare-balles et armes ». Lourdes dérives potentielles.
Si le climat social est plus calme aujourd’hui, des entreprises nouvellement créées, flairant l’aubaine, prennent des parts de marché. Par ailleurs, des pratiques illégales demeureraient. Des sociétés non agréées paieraient en cash à prix cassés : 1 200 francs de l’heure pour l’agent en gardiennage, sans charge évidemment. Contre 2 000 francs en moyenne environ sous une enseigne reconnue. Une équipe tournerait en outre la nuit dans une zone industrielle. Et outrepasserait ses droits.
Car des employés de sécurité privée ne sont pas autorisés à patrouiller ‒ mais peuvent aller d’un point A à un point B ‒, à procéder à des contrôles d’identité et à exercer en civil ‒ la tenue est obligatoire. « Le marché est faussé depuis les émeutes, regrette le dirigeant d’une société. Il y a des accrocs. »

DES DIZAINES D’INFRACTIONS
L’action a surpris son monde, les 12 et 13 novembre à Nouméa. Sur réquisition du procureur de la République et dans le cadre du comité opérationnel territorial anti- fraude ou Cotaf, deux opérations de contrôle ont été organisées. Main dans la main, le haut-commissariat, la police nationale, la Direction du travail et de l’emploi, la Cafat et bien sûr le conseil national des activi- tés privées de sécurité, le Cnaps, l’organe régulateur de l’État. L’idée, entre autres : détecter les éventuelles pratiques illégales à Magenta, Belle-Vie et Ducos, mais aussi dans les établissements de nuit des quartiers sud de Nouméa. Il y en a eu. Pas moins de 43 infractions ont été relevées, comme le défaut de carte professionnelle ou les situations de travail dissimulé.
Pour le dirigeant d’une société spécialisée dans la sécurité privée, « il faut davantage de contrôles sur le terrain ». Et ce, pour garantir un marché stabilisé et sain. Les sanctions peuvent être très lourdes. « Les clients doivent exiger les qualifications de l’entreprise, de son patron et du personnel », ajoute ce chef d’équipe. Parce qu’en cas de souci, « ces clients sont coresponsables ».

Yann Mainguet

Pourtant, un cadre strict

Des dispositions réglementaires précises régissent l’activité professionnelle à risque. Le Cnaps, ou conseil national des activités privées de sécurité, établissement public de l’État, dispose d’une antenne locale en Nouvelle- Calédonie, au sein du haut-commissariat, et est l’interlocuteur des membres du secteur sur le territoire afin de traiter les demandes, de préparer l’accès aux formations, etc. En fait, il y a trois niveaux d’autorisation à satisfaire pour exercer. Les entreprises souhaitant délivrer des prestations de sécurité privée doivent tout d’abord être agréées par le Cnaps. Tout comme, ensuite, le dirigeant de la société ainsi que ses associés.
L’agrément est valable cinq ans. Une certification professionnelle est nécessaire, ou un diplôme Bac +3 minimum en gestion administrative et comptable, ou encore la qualité d’officier de police judiciaire. Enfin, toute personne voulant exercer le métier d’agent de sécurité privée doit être titulaire d’une carte professionnelle délivrée par le Cnaps. Sa durée de validité est aussi de cinq ans. Pour l’obtenir, il faut justifier de l’aptitude professionnelle, et pour ce faire, avoir suivi une formation et être titulaire du diplôme ou de l’équivalence pour les militaires, gendarmes, policiers…

Radio, conflit, extincteur
À Nouméa, trois centres dispensent ces cours concentrés sur un mois et sanctionnés par un examen. Parmi les matières enseignées : communication radio, gestion d’un conflit, notions de droit, connaissance des interdits, premiers gestes de secourisme, manipulation d’un extincteur, rédaction d’une main courante, etc.
L’examen de la demande de formation inclut notamment une enquête administrative durant laquelle sont consultés les fichiers relatifs au casier judiciaire mais aussi aux personnes recherchées. « Cette enquête permet de vérifier que le demandeur n’a pas commis d’actes incompatibles avec l’exercice d’une activité privée de sécurité » écrit le Cnaps. Un code de déontologie s’applique à toutes les personnes physiques ou morales du secteur.