À Thio, l’économie est à l’arrêt et les habitants sont privés de personnel de santé. Dans ce contexte, le marché est salutaire à bien des niveaux.
Dans le village, déserté depuis sept mois, un événement anime les rues du centre chaque jeudi matin : le marché communal. Quelques stands de fruits, légumes, plantes, confitures et vêtements, abrités sous des tonnelles colorées, se côtoient sur le terrain situé en face de la mairie. « Quand on a repris, au début, il y en avait quatre, se rappelle Véronique Delessert, qui ne rate aucune édition de l’événement. Ça revient petit à petit. »
L’artisane y vend ses créations, nattes, couronnes, sacs. Un moment fédérateur pour la population. Essentiellement des femmes. « Je suis le seul papa parmi les mamans », glisse Pierre M’Boueri, président de l’association du marché, qui essaie de relancer le rendez- vous, devenu hebdomadaire.
« Ça fait du bien de se retrouver, de renouer les liens, on échange, ça nous sort », raconte Marie-Claude Oundo, présidente du comité de la foire. De quoi également se faire un peu d’argent. « C’est un moyen d’avoir quelques pièces pour acheter le nécessaire », témoigne Lydie. Car les temps sont durs à Thio. « C’est comme si on revenait en arrière. Les gens font des économies, regardent leurs dépenses », poursuit Marie-Claude Oundo.
Pour beaucoup, la SLN constituait la seule rentrée d’argent pour la famille, et elle « a disparu d’un coup », avec l’arrêt de l’activité minière. Lydie assurait du transport pour la Société Le Nickel. « On appréhende l’avenir. Les fêtes vont être rudes. »
IMPACT SUR LA SANTÉ
À Saint-Paul, où elle réside, Lydie s’occupe de son père, alité, et de son fils, en situation de handicap. L’absence de médecin se fait d’autant plus sentir. « On se sent un peu abandonnés. Je pense aux malades, aux personnes âgées. » Ces derniers sont contraints de se rendre à Boulouparis et La Foa pour consulter. Deux fois par semaine, des navettes mises en place par la mairie les y emmènent. Mille francs restent à la charge du patient.
« Tout le monde n’a pas les moyens de payer, et ils n’osent pas forcément demander à ceux qui ont une voiture », indique Johanna, préparatrice en pharmacie depuis 30 ans. Conséquence, moins de gens se font soigner. « Cela a un impact sur la santé générale des habitants. » Et l’officine a perdu de la clientèle. « Le chiffre d’affaires a diminué d’environ 60 % depuis les émeutes. »
Johanna craint que la fermeture des mines n’entraîne la commune vers un lent et irrémédiable déclin. « La SLN est le seul employeur. Sans l’entreprise, il n’y a rien. Je pense que des gens vont partir, quelques jeunes l’ont déjà fait. » Le sort des générations futures la préoccupe. « On s’inquiète pour les enfants, les petits-enfants. »
TENIR LE COUP
Malgré la morosité ambiante, les témoignages se concluent souvent sur une note d’entrain. « On tient le coup, on ne baisse pas les bras », déclare Johanna. Il faut « se retrousser les manches », insiste Lydie, « continuer, ne pas abandonner », renchérit Véronique Delessert, membre de l’association Artcöö des artistes de Thio, qui encourage les jeunes sculpteurs, dont elle écoule les œuvres sur les marchés nouméens le week-end, à poursuivre leur travail.
Comme beaucoup au village, Johanna est persuadée que le contexte offre l’opportunité de « réfléchir à d’autres voies de développement ». Le sujet est évoqué depuis 40 ans. « Les gens comptaient trop sur la SLN. En 1984, l’ancien maire parlait déjà de l’après nickel, la réflexion n’a pas trop évolué depuis. Là, c’est l’occasion. Le tourisme est une piste. Le retour à la terre en est une autre. Il faut que les gens s’y remettent, on n’a pas le choix », considère Pierre M’Boueri, retraité de la SLN.
La vie continue. Coûte que coûte. À l’école, les ateliers culturels ont recommencé il y a trois semaines. « On est content de retrouver les enfants », exprime, dans un sourire, Véronique Delessert. Samedi 23 novembre, le premier événement festif à être organisé depuis le mois de mai a rassemblé plus de 200 jeunes et leurs parents au stade municipal, avec spectacles, contes, châteaux gonflables, etc. « Une bouffée d’oxygène pour tout le monde », s’enthousiasme Sagato Maperi, adjoint en charge de la culture et de la jeunesse.
Autre signe encourageant : la commune et la province planchent sur la réintégration d’un médecin au centre médico-social en janvier. De toute façon, rapporte Marie-Claude en riant, « comme dit toujours Véronique, “Il est où le bonheur ? Vous allez le trouver à Thio !”. »
Anne-Claire Pophillat