[DOSSIER] À Riverstar, « on est délaissés »

Djicky, Philippe, Wawa et Fatima estiment que la solidarité, qui s’est aussi démontrée auprès de familles de Saint-Louis bloquées, joue un rôle essentiel en ce moment. (© Y.M.)

Dans les hauteurs de Rivière-Salée à Nouméa, des jeunes du quartier populaire de Riverstar condamnent la cherté de la vie et l’absence de travail. Bien au-delà de l’avenir institutionnel, ces habitants adolescents ou âgés d’une vingtaine d’années souhaitent une réelle prise en compte de leurs aspirations.

Les bois sculptés s’appuient contre le béton de l’immeuble, prêts à recevoir le dessin du ciseau. À deux pas, des enfants traversent la cour, un bidon rempli d’eau dans chaque main. L’arrosage des cultures a commencé en contre-bas, derrière les imposants logements rectangulaires dont certains murs sont colorés de jolies fresques.

Perché sur les hauteurs de Rivière-Salée à Nouméa, le quartier populaire de Riverstar abrite de nombreux jeunes parmi sa centaine d’habitants. Leur vie n’est pas tout rose, « la vie est chère. On a senti les prix augmenter », observe Fatima, 20 ans, qui cherche du travail dans la restauration comme serveuse. « Le transport est trop cher aussi » pointe Djicky, assis sur une chaise dans l’espace dédié à la sculpture entre deux hauts bâtiments. Le ticket de bus à 500 francs ne passe pas, « hein, Philippe ? ». Le jeune de 14 ans, qui a toujours grandi ici, acquiesce. Désormais, le collégien doit marcher « plus de 30 minutes le matin, et pareil le soir » pour rejoindre son établissement aux Portes- de-Fer.

Bien que protégé, Riverstar a tout vu et tout entendu des émeutes du 13 mai. À travers les mobilisations, « le message sur la situation du pays est passé : contre les inégalités, contre le projet du dégel [du corps électoral provincial]… À un moment donné, il fallait que l’on sorte ce que l’on avait en nous : la colère » estime Fatima. Un fort mécontentement à l’égard des prix, de « l’absence de travail… Nous, les enfants du pays, on est délaissés, mis de côté, alors que l’on a des Bac, des BTS, des diplômes… Une injustice ».

« SOLIDARITÉ, LIBERTÉ, FRATERNITÉ »

En cette année chahutée, un site dénommé « Le Jardin du cœur des jeunes de Riverstar » a ouvert dans le but de pratiquer des activités, telles que le chant, la danse, la sculpture, la construction… Un endroit « pour s’occuper des enfants, se réunir », explique Wawa, une habitante active. Les conséquences de l’insurrection rattrapent le quotidien. Certains ados ou leurs proches aînés ont perdu la tête, selon l’expression entendue, parce qu’ils sont devenus radicaux…

Et puis, « on sent la crise arriver » relève Fatima. Ici, des gens ont été licenciés. « On s’en sort avec la solidarité », appuie la jeune femme. « Solidarité, liberté, fraternité » ponctue Djicky âgé de 16 ans qui, dans un avenir proche, aimerait s’installer dans les îles, à Lifou ou à Ouvéa, « c’est plus calme ». L’adolescent souhaite « faire les champs, produire des bonnes choses. On va apprendre ». Si rien ne change, Fatima compte peut-être retourner à la tribu à Houaïlou.

La question politique du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France ou de l’indépendance ne semble pas être une grosse préoccupation aujourd’hui, à entendre ces jeunes qui espèrent surtout une plus grande prise en compte de leurs réalités et leurs aspirations. « Les politiciens doivent laisser la place à la jeunesse pour un meilleur vivre-ensemble », soupire Wawa. « Les politiciens ne sont pas d’accord entre eux, se chamaillent, et c’est le peuple qui ramasse. » L’avenir ne fait pas peur à Fatima et ses copains, « car on ne sait pas ce qu’il y aura. On pourra vraiment répondre quand il y aura du changement ».

 

Un livre blanc attendu fin janvier
Le Sénat coutumier a initié le projet d’un livre blanc des quartiers populaires de Nouméa et du Grand Nouméa. L’ambition est de rassembler, dans un seul recueil, un diagnostic, les problèmes, les doléances… exprimés par leurs habitants. Et ce, afin d’améliorer la vie dans ces lieux. « On ne va pas reconstruire uniquement avec des milliards de francs. Il faut aussi une nouvelle approche et une prise en compte des réalités du quotidien de tous » note Victor Gogny, ancien président du Sénat coutumier et président de la commission ad hoc. Responsables et populations des quartiers ont fait état de leur situation et des problématiques samedi 30 novembre.
Ces données ont été collectées et sont travaillées. Plusieurs thèmes émergent : le logement et les difficultés de paiement des loyers, l’accès à l’alimentation de base, la santé et les problèmes de couverture sociale, l’éducation, le retour des enfants en tribu, la fermeture du collège de Rivière-Salée vécue comme « une blessure importante »…
Ce livre blanc, dont les conclusions sont destinées à être partagées dans tout le territoire, sera présenté aux diverses institutions fin janvier ou début février. Le Sénat coutumier déclenchera des autosaisines pour faire bouger les lignes.
Yann Mainguet