Frappé par des incendies dans un environnement désolé, l’établissement de la presqu’île aurait pu ne jamais rouvrir après les émeutes. Une mobilisation impulsée par la principale, Francoise Audureau, a permis de maintenir le lieu en vie.
Dès la sortie de son bureau, un technicien la renseigne sur les travaux menés. Puis, dans la cour, l’infirmière souhaite faire un point. Sur la passerelle qui relie les classes, un professeur enthousiaste lui annonce un projet de participation à un événement informatique. Le tout, en moins de cinq minutes. « Vous savez, on ne s’arrête jamais », sourit Francoise Audureau.
Son collège de Kaméré, riche de 357 élèves et 32 enseignants, a pourtant bien failli rester porte close, terrassé par les émeutes de la mi-mai. Les flammes sont sorties des bâtiments pendant une semaine. « Quand je suis revenue pour la première fois le 22 mai, c’était la désolation », se souvient la principale, pensive.
La restauration, le service de la vie scolaire, la salle d’étude, l’infirmerie ou encore les bureaux de l’éducatrice spécialisée et de l’assistante sociale ont brûlé. Et cinq classes ont été détériorées.
Les dégâts auraient pu être beaucoup plus importants : le gardien et sa femme se sont démenés pour sauver des locaux à coups de visites régulières et de mousse d’extincteur. Un coup de fil a fait mal, fin mai. Une connaissance indique avoir appris, lors d’une conférence de presse, l’éventualité de la fermeture du collège. « Je me suis dit : non. Il est saccagé, mais il y a la possibilité de reprendre l’activité », appuie Francoise Audureau, qui s’est rendue à plusieurs reprises sur les lieux. La nécessité du maintien relève alors d’« une affaire d’équipe » consciente de la position stratégique de l’établissement scolaire à la presqu’île.
BOUT DU MONDE
Si le collège ferme, les élèves doivent aller à Baudoux ou Champagnat. Le bout du monde pour les quartiers de Kaméré, Tindu, Logicoop et Montravel, avec le risque de perdre bien des jeunes en route. Épaulée par la principale adjointe, Rosine Molé, de la gestionnaire, Lorena Maro, et de l’infirmière, Sandrine Mollard, Francoise Audureau travaille des solutions et insiste auprès des autorités.
La Calédonienne de Boulari, fille d’agriculteurs-maraîchers sur la route de Yaté, un temps comptable en Métropole puis DRH d’une grande entreprise à Nouméa, a déjà fait preuve de détermination par le passé, en changeant de voie professionnelle à 42 ans. Le cap était alors mis sur l’enseignement et la direction d’établissement. Une visite du collège est organisée. Des murs sont couverts de suie. Mais des propositions sont formulées, sur le relogement de l’infirmerie par exemple.
« Le vice-recteur, Didier Vin-Datiche, et Isabelle Champmoreau du gouvernement ont été formidables », garde en mémoire la principale qui a reçu, en outre, le soutien de la province Sud, d’entreprises privées, mais aussi du RSMA. Ces 25 à 30 militaires calédoniens ont grandement aidé au nettoyage et à l’aménagement des salles de classe. Après une période d’accompagnement pédagogique « qui a bien fonctionné » avec la remise de dossiers, le collège a rouvert le 22 juillet.
UN SEUL REPAS
La restauration étant partie en fumée, un prestataire extérieur livre les plats chaque jour. Une obligation d’ailleurs, parce que « nous savons que le repas du midi est le seul de la journée pour des élèves », constate Francoise Audureau. Le collège de Kaméré, inauguré en 1997, est implanté dans une zone très défavorisée. Les jeunes se heurtent, bien souvent, en dehors de l’établissement à des difficultés familiales et financières. Un schéma a prévalu, même avant l’insurrection : de nombreux ateliers sont mis en place afin que « les élèves se sentent accueillis. Et plus les élèves se sentent bien, plus ils travaillent bien ».
Aucun professeur n’est parti du collège depuis les émeutes et le taux de présence des jeunes est aujourd’hui de 87 %. Le ratio s’explique. Les filles et garçons qui ne viennent pas en cours habitent à Montravel ou au squat Coca-Cola, et ne peuvent pas payer le transport, 1 000 francs pour des tickets de bus A/R. Trop cher. Certains courageux font le chemin à pied. Éreintant. Deux élèves sont dans la nature, l’éducatrice spécialisée s’en occupe. L’équipe de direction avait aussi anticipé pour les collégiens dits hors secteur, en appelant les dirigeants d’établissement pour leur intégration dans ces structures à Dumbéa, Païta, Lifou, Maré… Et ainsi éviter le décrochage scolaire.
Francoise Audureau affiche un sourire, en cette fin octobre. Les effectifs vont remonter à la rentrée scolaire 2025. Cinq classes de 6e sont espérées au lieu de quatre prévues. « Tout le monde a mis du sien, souffle la principale, parce que tout le monde a compris l’importance de garder un collège ouvert. »
Yann Mainguet