Alors que l’offre de soins s’affaiblit en raison de départs de personnel de santé dans le contexte post-émeutes, Victor, jeune médecin calédonien, a choisi de revenir sur sa terre natale pour exercer.
Écœurés par l’incendie de leur local ou les violences du 13 mai, des collègues ont plié bagages. Pas deux ou trois, mais des dizaines. D’autres, restés sur le territoire, ont décidé de repousser la date de leur installation, le temps d’apprécier l’évolution du climat social, et préfèrent continuer les remplacements ici et là.
Jeune médecin généraliste calédonien de 34 ans, Victor* a pris le chemin inverse, son premier cabinet en nom propre ayant ouvert début décembre à Nouméa. « Je suis d’ici, j’avais un projet. Je serais alors parti avec une immense tristesse. » Enfant, le garçon passé par le collège Georges-Baudoux et le lycée Lapérouse a toujours baigné dans le milieu de la santé : ses parents, dentistes, ont exercé notamment à Houaïlou ou encore à Ponérihouen à la fin des Événements puis à Nouméa – la maman est d’ailleurs l’une des premières praticiennes en Brousse.
En 2008, direction la faculté de médecine de Poitiers en Métropole, puis l’internat à Amiens. Rien ne vaut l’activité, le suivi du patient. La blouse blanche est alors portée à Paris, mais aussi « en campagne et dans des déserts médicaux ». Sa thèse a trait à l’antibiorésistance, autrement dit à la capacité d’une bactérie à résister à l’action d’un antibiotique. Une fois la soutenance accomplie, « j’ai pris mes affaires et je suis rentré au pays, en mai 2023 ». Parce que « j’avais besoin de revenir ici ».
Pour des raisons personnelles, mais aussi professionnelles. L’exercice de la médecine en Nouvelle-Calédonie est différent de celui de la Métropole. Plus de liberté, ou encore un large champ de pathologies présentes dont certaines sont inexistantes dans l’Hexagone, comme les rhumatismes articulaires aigus. Victor s’intéresse tout particulièrement à la discipline de la diabétologie. Le diabète, un fléau local.
« SIDÉRATION »
Sur son cher Caillou, le docteur assure des remplacements à Tontouta, et surtout à Koutio, où le projet d’acquérir une patientèle et de poser son enseigne se dessine fortement. L’accord pour l’achat d’une salle de consultation en ce quartier de Dumbéa est même donné en mars 2024. « Les exactions ont mis un gros coup d’arrêt. » Tout a brûlé autour du cabinet. Toutes les options sont alors envisagées. Victor et sa compagne s’interrogent sur le lendemain en Nouvelle-Calédonie, sur le poids de l’endettement dans un tel contexte. « Il y avait de la sidération. Nous avions préparé un sac avec de quoi partir en urgence si jamais il se passait quelque chose. »
Après une période de flottement survient un coup de chance. Le propriétaire d’une vieille maison construite dans les années 1920 à Nouméa, reconvertie en centre médical, cherche un médecin pour compléter l’offre de soins. Une aubaine. La Cafat donne l’autorisation d’y ouvrir un cabinet. Et le groupe Eramet fournit à Victor un kit comprenant meubles et matériels. Les premiers patients ont été reçus lundi 2 décembre. Sans appréhension vis-à-vis d’un futur à bâtir après les émeutes. « Je n’y pense pas », l’attention étant focalisée sur le démarrage de l’activité. « L’idée est d’accompagner les familles et de rester ici jusqu’à la fin de ma carrière. »
Yann Mainguet
*Le nom de famille et l’adresse du médecin ne peuvent être précisés en raison de contraintes liées à la promotion publicitaire.
« La décision a été prise en moins de dix jours », s’est souvenu Bruno Sicard, médecin conseil du groupe Eramet, lors de son passage en Nouvelle-Calédonie fin novembre. La compagnie minière et métallurgique française, alertée dès les premiers temps des émeutes sur la disparition de nombreux cabinets médicaux, a souhaité réagir face aux difficultés d’accès aux soins. Et « gérer de la logistique médicale un peu complexe, on sait faire », parce que les filiales sont souvent implantées sur des sites isolés dans le monde, comme en Indonésie, au Gabon ou dans les Andes. « Là où tout était brûlé, il fallait amener rapidement une aide médicale sous forme d’équipements », selon Bruno Sicard.
Eramet a acheté 20 kits comprenant un fauteuil, une table, mais aussi un défibrillateur, un appareil à électrocardiogramme, un otoscope, un stéthoscope, un doppler fœtal, ou encore des draps d’examen, des masques, des gants, du savon… Le coût est estimé à 200 000 euros, soit près de 24 millions de francs. Le but était « vraiment d’aider les médecins privés. Les libéraux sont sans aide », a appuyé Patrice Baert, médecin chef de la SLN.
Au regard du nombre de Calédoniens touchés par le diabète ou l’hypertension, « nous nous attendions à une catastrophe sanitaire », a craint le docteur Bruno Sicard. La situation est compliquée, d’après Patrice Baert. « Avec l’appauvrissement de l’offre de soins, des pathologies chroniques ne trouvent plus de solutions thérapeutiques. » La livraison de ces kits d’Australie, menée en concertation avec l’ordre des médecins de Nouvelle-Calédonie, a débuté en juin. Eramet espère que cette action fut « parfois l’élément déclencheur » motivant certains praticiens à rester sur le territoire. Y.M.