Déwé Gorodey, femme engagée

Figure politique et littéraire, Déwé Gorodey est décédée dimanche 14 août des suites d’un cancer. En Nouvelle-Calédonie comme à Paris, on lui rend hommage.

La dernière lutte de Déwé Gorodey l’a finalement emportée à l’âge de 73 ans. Pionnière du combat politique pour l’indépendance et auteure kanak de renom inter- national, c’est une femme au parcours exceptionnel que l’on salue.

Enfant de la tribu de l’Embouchure à Ponérihouen, Déwé Eperi Gorodey fut une militante de la première heure de la revendication kanak indépendantiste. Étudiante en lettres à Montpellier, elle fait ses premiers meetings, ses premières rencontres politiques en Métropole au sein de l’association des kanak de France puis intègre, à son retour en 1973, les Foulards rouges et le Groupe 1878. Elle est emprisonnée à trois reprises au Camp Est où elle compose d’ailleurs son premier recueil de poésie engagée, Sous les cendres des conques.

Militante

À son retour, Déwé Gorodey exerce d’abord comme professeur de français, puis de paicî au sein notamment de l’École populaire kanak et, plus tard, à l’Université de Nouvelle-Calédonie où elle enseigne la littérature du Pacifique et la littérature mélanésienne contemporaine.

En 1976, elle participe à la création du Palika auquel elle restera fidèle toute sa vie. Élue en 1999 à l’assemblée de la province Nord, elle devient membre du premier exécutif présidé par Jean Lèques et ne quittera plus le gouvernement jusqu’en 2019, en raison de sa maladie.

 

En 2004, avec le gouvernement Thémereau / MARC LE CHELARD via AFP

 

Elle a occupé à plusieurs reprises la vice-présidence et s’est consacrée aux secteurs de la culture, de la condition féminine, de la citoyenneté, de la jeunesse et des sports ou encore des affaires coutumières et des relations avec le Sénat coutumier. Elle a en particulier traité deux dossiers majeurs, rappelle le gouvernement dans son hommage : l’enseignement des langues kanak et les signes identitaires. Elle a également œuvré pour la création de la Maison du livre, l’Académie des langues kanak, la mise en œuvre du Salon international du livre océanien (Silo), du Poemart, de la Sacenc, de la Fête de la citoyenneté chaque 24 septembre…

Le FLNKS a rendu hommage à une « grande dame de cœur et d’esprit », « connue pour sa franchise, sa fermeté, ayant lutté de tout temps pour la liberté de son peuple ». Le Palika estime qu’elle a « participé à l’avènement de la culture kanak et océanienne comme socle du destin commun pour un pays indépendant et souverain » et insiste sur son « engagement pour la cause des femmes kanak et calédoniennes ». Elle militera notamment pour la représentation de celles-ci en politique. L’Union calédonienne garde le souvenir d’une militante « présente et dévouée ».

« Déwé Gorodey aura mené tous ses combats avec dignité et sincérité tout en respectant les convictions des autres », relève pour sa part la présidente de la province Sud, Sonia Backes, qui évoque à ce titre « un modèle ».

Femmes de lettres

Déwé Gorodey restera aussi dans les mémoires comme une écrivaine majeure, pilier de la littérature calédonienne. Elle publie de nombreux poèmes, contes et nouvelles qui dépeignent souvent une société traditionnelle kanak en quête d’émancipation, son combat depuis toujours. « Ses œuvres ont contribué à faire découvrir et à transmettre la culture et les traditions kanak », souligne le Sénat coutumier qui salue son engagement indéfectible pour la défense des langues et de la littérature locale. « Une pionnière, une fondatrice, une sculptrice d’élégance, de liberté et de dignité », selon Jean-François Carenco, ministre délégué des Outre-mer.

Le ministère de la Culture note que dans L’Épave, premier roman kanak publié en 2005, elle disait aussi courageusement « le désarroi des femmes abusées, brisant le silence autour des violences sexuelles ». Son éditeur en Nouvelle-Calédonie, Gilbert Bladinières, a déclaré à l’AFP : « Déwé Gorodey nous laisse une remarquable œuvre littéraire » qui a été associée à d’illustres auteurs français, ultramarins ou internationaux.

Déwé Gorodey avait reçu, en 2009, les insignes de chevalier des Arts et des Lettres. L’Union des femmes francophones d’Océanie, le Conseil économique et social ont également salué sa mémoire. Déwé Gorodey repose désormais à la tribu de l’Embouchure à Ponérihouen, où elle était retournée ces dernières années.

Chloé Maingourd

Photo : Éditions Bruno Doucey