Des syndicats craignent qu’Eramet abandonne l’usine de Doniambo

La cinquantaine de postes que la direction compte supprimer à Kouaoua n’est qu’un début, estiment les représentants des salariés, pour qui l’ensemble des sites déficitaires sont en danger. Certains redoutent que l’actionnaire majoritaire ne se détourne de son usine de Nouvelle-Calédonie et se concentre sur celle de Weda Bay, en Indonésie.

Le centre minier de Kouaoua a perdu 6 milliards de francs au cours des six dernières années : c’est la raison avancée par la direction pour supprimer un quart des 200 postes. Pour les syndicats, il faut s’attendre à d’autres annonces de ce genre. « On a peur que ce ne soit que le début », lâche Arnold Delrieu, délégué CSTNC à Népoui. « Mais ce n’est pas une surprise ! C’était le plan de Colin McGibbon (directeur de la SLN de février à novembre 2020, NDLR). Il voulait que chaque site s’autofinance. Maintenant, on y est, donc aucun n’est à l’abri », même dans cette période où les cours du nickel restent favorables, à plus de 22 000 dollars la tonne. « Au moindre retournement du marché, on peut partir dans un plan de redressement beaucoup plus dur. »

L’OMBRE DE WEDA BAY

À l’échelle de la SLN tout entière, la situation financière est critique. Le prêt de 63 milliards obtenu en 2016 auprès de l’État et d’Eramet a été consommé quasi intégralement. Chez les salariés, on s’inquiète des intentions de l’actionnaire majoritaire vis-à-vis de l’usine. Eramet a-t-il l’intention de lâcher Doniambo ? « Oui. On pense que c’est dans les papiers », répond Hervé Cronsteadt, délégué du Soenc nickel. Il constate que la direction de la SLN a fait le forcing auprès du gouvernement pour obtenir le droit d’exporter 6 millions de tonnes de minerai. Dans l’accord signé en février, la contrepartie devait être un vaste plan d’investissement à Doniambo, que les syndicats ne voient pas venir. « En revanche, on voit que beaucoup d’investissements sont faits du côté de Weda Bay. » En Indonésie, le groupe français exploite depuis 2020 des fours d’une capacité de 35 000 tonnes par an, financés par son partenaire chinois Tsingshan. Eramet envisage également une deuxième usine, hydrométallurgique cette fois-ci, en coopération avec le géant allemand de la chimie BASF, pour produire des métaux destinés aux batteries des véhicules électriques. Les études techniques ont commencé l’an dernier.

« Aujourd’hui, leur plan associe la métallurgie à l’export de minerai. Mais à terme, est-ce que la SLN va devenir un tâcheron d’Eramet et alimenter Weda Bay ? », questionne Glen Delathière (SGTINC). La gestion de l’alimentation électrique l’inquiète tout particulièrement. « On aurait dû construire la nouvelle centrale il y a des années, et rien n’est sorti de terre. » La centrale accostée temporaire (CAT), unité au fioul prévue pour durer trois ans maximum, ne le rassure pas. « La CAT, du jour au lendemain, on peut la débrancher. Les sous-traitants, on peut s’en séparer. »

« LES GISEMENTS S’ÉPUISENT »

Arnold Delrieu (CSTNC) ne peut pas croire à une fermeture soudaine. « Je ne pense pas que ça arrivera brutalement. L’export représente une ressource non négligeable. Mais la métallurgie, c’est notre métier premier. On ne peut pas l’arrêter comme ça. » Il n’est pas optimiste pour autant. « Doniambo ne sera pas épargné. » Il anticipe une adaptation des effectifs aux tonnes produites par chaque centre minier. « Les gisements s’épuisent, ce n’est plus la crème. Les teneurs baissent, la chimie change. Les ratios augmentent : pour une tonne de nickel, on déplace 10 à 12 tonnes de terre. Il faut de l’adaptation à tous les niveaux. » À Doniambo, pour l’heure, la consigne reste de produire davantage pour sauver la SLN. Les regards se tournent régulièrement vers le four Demag 11, particulièrement fatigué. De l’avis syndical général, s’il venait à céder, l’équation serait plus compliquée que jamais.

Gilles Caprais

LA DIRECTION VOIT « UNE VOLONTÉ DE MAINTENIR L’ACTIVITÉ »

Les craintes des syndicats vis-à-vis d’Eramet sont-elles infondées ? « Tous les signes montrent une volonté de la SLN et de ses actionnaires de maintenir l’activité de transformation métallurgique sur le territoire », répond la direction de la Société Le Nickel. Les signes en question : le prêt consenti par Eramet, « les investissements nécessaires à garantir l’alimentation énergétique à risque de l’usine de Doniambo », ceux destinés à renouveler le parc d’engins miniers, les exportations de minerais non valorisables localement, les accords signés avec le gouvernement, etc. « Cependant, comme toute entreprise dans le monde, et toute industrie minière métallurgique en Nouvelle-Calédonie, la SLN a besoin d’avoir un accès libre aux ressources qui permettent cette transformation », ajoute la direction, évoquant également la nécessité d’ « atteindre ses objectifs » de production, ainsi que celles « d’une énergie stable et compétitive » et de « revenir à la rentabilité ».

LES « BLOCAGES SYSTÉMATIQUES » DE KOUAOUA POINTÉS DU DOIGT
Le site produit en moyenne 360 000 tonnes de minerai par an, pour un potentiel estimé à 900 000 par la direction, qui vise désormais 400 000 malgré 53 emplois de moins. « Cette cible reste (…) un défi qu’il conviendra d’atteindre », en garantissant « l’accès à nos ressources », « l’intégrité de nos installations et le maintien d’un dialogue permanent qui n’admettra plus de blocages systématiques de nos activités », prévient la direction, faisant notamment référence aux innombrables incendies volontaires de la serpentine et aux grèves. « Le plan de sauvetage de la SLN, c’est nous qui le menons. C’est nous qui allons nous en sortir tout seuls, en augmentant nos volumes de production. » Guillaume Verschaeve, directeur de la SLN, avait ainsi désigné la porte de sortie, le 22 septembre sur NC la 1re.

 

LE SGTINC CHERCHE DU SOUTIEN

À Kouaoua, le syndicat demande à la direction de rouvrir la mine Kiel, et assure que les autorisations coutumières sont d’ores et déjà acquises. À l’échelle de l’entreprise, « il y a d’autres pistes d’économies que les emplois, il y a du gaspillage », lance Glen Delathière, qui dénonce « le poids de la sous-traitance intellectuelle ». Pour creuser dans cette direction, le comité d’entreprise de la SLN a voté fin septembre une procédure de « droit d’alerte » : un cabinet privé a été mandaté pour réaliser un audit du fonctionnement de la société. Et puisque le nickel est autant politique qu’économique, le SGTINC multiplie les contacts : gouvernement, haussariat, cabinet du secrétaire d’État aux Outre-mer… et espère obtenir des garanties pour la survie de l’usine. « Notre but n’est pas de demander encore de l’argent au gouvernement ou à l’État, assure Glen Delathière. D’abord, on voudrait comprendre. Où sont passés ces 63 milliards ? On avait du cash à un moment donné, qu’est ce qu’on en a fait ? »