Des Paroles de Thio, pleines de sens

Après de nombreuses tournées en brousse, Paroles de Thio s’est joué la semaine dernière au Centre d’art. Le spectacle, émouvant, met en scène des témoignages d’habitants et pose un regard sur le destin de cette commune étroitement liée au nickel et plus largement sur la Calédonie d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Paroles de Thio, c’est d’abord le fruit d’une rencontre, il y a des années de cela, entre Sylvain Lorgnier, alors enseignant, et la commune de Thio qui résonne immédiatement en lui de par ses « fortes convergences » avec son Pas-de-Calais natal, un autre bassin minier. Une rencontre qu’il n’oubliera pas malgré la « distance ».
Devenu conteur, poète, à la tête de la compagnie les Artgonautes Pacifique, Sylvain Lorgnier engage finalement ce projet original des années plus tard, après une sollicitation de la bibliothèque Bernheim. Il collecte, durant deux ans, avec Igor Deseneux, des témoignages auprès des habitants ou d’anciens habitants de Thio, 80 à 90 personnes au total de 14 à 80 ans, agrémentant ces paroles d’histoires issues de différents ouvrages. Par la plume de plusieurs écrivains, ces témoignages sont retranscrits, des thèmes émergent. Nordine Hassani, metteur en scène, qui avait déjà utilisé ce procédé dans le nord de la France, et les comédiens, qui ont eux aussi participé à l’écriture des textes, viendront finalement peaufiner ce « long travail collectif ».

Une multitude de voix sur scène

Marithé Siwéné, comédienne qui sait aussi superbement chanter, Siman Wénéthem, slammeur et danseur, et Erwan Botrel, conteur et musicien, servent avec brio, chacun à sa façon, en mêlant théâtre, musique et slam, les graines de paroles données par les gens de Thio, ces gens de l’ordinaire dont la vie s’est forgée au gré des évolutions du pays, de la colonisation, à l’évangélisation en passant par les guerres mondiales, le boom du nickel, les Évènements aussi. Une multitude de voix s’offrent ainsi aux spectateurs : celles d’une jeunesse déracinée, qui essaie de comprendre d’où elle vient et qui parfois aimerait un objectif pour demain, celles de vieux, murés dans leur silence dont les blessures ne passent pas, d’habitants arrachés à leur commune, à leur culture, de personnes qui n’arrivent pas à se sortir du passé et d’autres qui y parviennent. Les thèmes de la délinquance, du dialogue intergénérationnel, des violences faites aux femmes, de l’immigration, du mystique également s’entremêlent au fil de ces multiples prises de parole.

La réussite de cette équipe est d’être parvenue à laisser s’exprimer à la fois ses acteurs, avec leurs personnalités et talents, et en même temps toutes ces personnes qui ont bien voulu parler, s’émouvoir ou sous-entendre. Tous sont présents dans la salle. Le résultat est émouvant, drôle parfois, pertinent toujours. Et il ne peut laisser indifférent, tant il amène à se questionner sur ce pays, sur ces difficultés, ses chances également. « Issu de la brousse », le spectacle a bien voyagé, il s’est amélioré, affiné et est « presque abouti », selon les mots de Sylvain Lorgnier. « Nous essayons de faire le pont entre les gens… d’apporter autre chose que ce que l’on peut trouver sur internet et les médias même si ce n’est pas évident de faire le poids ». Il est selon nous d’une grande qualité… puisse-t-il continuer à voyager, à bousculer.

Texte et photos C.M.