Le ministre des Outre-mer n’a pas réussi à rassurer les Calédoniens sur les intentions de l’État lors de son déplacement sur le territoire, du mercredi 16 au samedi 19 octobre. Si François-Noël Buffet a confirmé la poursuite du chômage partiel jusqu’en décembre, le contenu des aides à venir reste flou et « pas à la mesure de ce qu’on peut espérer ».
Salle Sisia, au centre culturel Tjibaou, jeudi 17 octobre. Le gouvernement Mapou lance la conférence consacrée au plan S2R (sauvegarde, refondation et reconstruction) en présence du ministre des Outre-mer. Sur l’estrade, François-Noël Buffet livre un discours très attendu, particulièrement par le monde économique et syndical. La « déception » est à la hauteur des espérances. « Quand un ministre se déplace, on se dit qu’il arrive avec des annonces. Il n’y a pas eu ce qu’on pensait », déplore Stéphane Yoteau, vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI).
Le locataire de la rue Oudinot semble pourtant avoir saisi la gravité de la situation, quand il déclare : « la Nouvelle-Calédonie connaît l’une des périodes les plus éprouvantes de son histoire », insistant sur l’urgence économique et sociale, assurant le territoire du soutien de l’État. « La solidarité nationale a joué et continuera de jouer. » Mais comment ?
ZONES D’OMBRE
Paris a versé, sous différentes formes (subventions, avances remboursables, prêts), 48 milliards de francs de mai à octobre. Une enveloppe de 30 milliards est annoncée pour boucler l’année. Poussé par les nombreuses questions à ce sujet, François-Noël Buffet confirme tant bien que mal la prolongation du chômage partiel en novembre et décembre. « Nous ne savons pas encore comment cela sera financé », glisse Stéphane Yoteau, qui ajoute : « sortir du chômage partiel n’aurait pas de sens, puisque cela ferait basculer les salariés dans le chômage total ».
Ces annonces au compte-gouttes pénalisent les entreprises. « On assiste, par manque de visibilité, à des licenciements », souligne Christophe Coulson, président de l’UT CFE-CGC, qui plaide pour le prolongement du dispositif jusqu’à mi-2025, au même titre que les organisations syndicales, patronales et le gouvernement collégial. La même demande a été formulée pour le Fonds de solidarité à destination des entreprises. Sans confirmation. Le FSE est, à ce jour, seulement financé jusqu’en août. Peut-être prendra-t-il une autre forme ? Une discussion doit s’ouvrir « pour savoir comment on peut mettre en place un mécanisme qui conjugue un soutien et la reprise, qui doit l’emporter le plus vite possible », explique le ministre. Ces deux points sont inscrits dans le plan S2R (lire par ailleurs).
UN PRÊT POUR REMBOURSER
François-Noël Buffet affirme, en revanche, que l’État apportera sa garantie à la Nouvelle-Calédonie pour un prêt de 60 milliards de francs auprès de l’Agence française de développement inscrit dans le projet de loi de finances 2025. Tour de passe-passe ? Cette somme est censée servir, entre autres (la proportion n’est pas connue), à rembourser les fonds alloués par le gouvernement central cette année… « Son utilisation est à préciser », note Yannick Slamet, en charge des finances, estimant malgré tout que « cela ouvre une possibilité de désendettement » et donc de souscription d’un autre prêt. Enfin, l’octroi de 20 milliards supplémentaires doit être discuté lors de l’examen du budget à l’Assemblée nationale.
Mais voilà, la règle est martelée ces derniers mois, ces interventions sont conditionnées. François-Noël Buffet insiste. Sur « l’efficacité », d’abord. « Chaque euro, chaque franc dépensé devra être employé à bon escient. » Charge aux experts de la mission interministérielle, dont la mise sur pied est prévue dans les prochains jours, de s’en assurer et de vérifier que cela soit fait « rapidement ». Et sur la nécessité de continuer à mener « des réformes structurelles », ensuite. « D’autres mesures sont en cours de finalisation et doivent être adoptées, comme celles concernant la fiscalité et le plan de redressement du service maladie. » Dans la liste se trouve aussi la diminution de la masse salariale de la fonction publique.
UN PARTENARIAT PLURIANNUEL
Si tout cela n’est « pas à la mesure de ce qu’on peut espérer », Yannick Slamet ne fait pas la fine bouche. « Pour le moment, nous sommes en mode survie. Je suis très pragmatique, on travaille au jour le jour. Tout ce qui peut me satisfaire, je le prends. » Le membre du gouvernement accepte le prix à payer. « Ce serait mieux sans condition, mais en même temps, c’est normal. Après, l’État n’est pas intervenu dans le plan S2R. » Et si les réformes ne sont pas réalisées dans les temps ? « Celle de la TGC est prévue d’ici la fin de l’année. Si ce n’est pas fait, chacun prendra ses responsabilités. »
Le président du gouvernement, Louis Mapou, semble ne pas exclure une évolution à la hausse de l’aide. Un débat est en cours avec Paris, afin « d’identifier les besoins pour l’année 2025, qui seraient pris en charge dans le cadre du projet de loi des finances ». Il s’agit désormais de définir les termes de l’accord avec l’État, « un partenariat pluriannuel gagnant-gagnant à construire pour répondre aux enjeux de cette refondation et reconstruction. Nous attendons une compréhension mutuelle de la définition des termes de ce partenariat ainsi qu’une flexibilité dans son exécution. »
Les mesures de sauvegarde du plan S2R
La conférence autour du plan S2R, introduite jeudi 17 octobre en présence du ministre des Outre-mer, s’est poursuivie lundi 21 et mardi 22 au centre Tjibaou. Le plan, basé sur quatre piliers, économie, social, sociétal et institutionnel, porte comme priorité « absolue » de « répondre aux urgences » sur la fin de l’année 2024 et en 2025, indique Louis Mapou, président du gouvernement, « tout en engageant une démarche de refonte des modèles ».
Le document déroule des mesures de sauvegarde, puis de refondation et de reconstruction sur une trajectoire de trois ans, « au terme de laquelle la Nouvelle-Calédonie devra avoir rétabli ses comptes publics et sociaux dans un cadre institutionnel nouveau ».
Le plan S2R prévoit, en premier lieu :
- l’exonération d’impôt sur les sociétés, les aides du FSE et les indemnités d’assurance versées.
- l’accélération des autorisations pour les projets ayant sollicité une défiscalisation locale.
- l’augmentation du plafond déductible des travaux et l’installation d’équipements verts.
- l’intégration du chômage de droit commun dans le financement attribué par l’État.
- l’extension du chèque emploi-service à d’autres secteurs d’activité.
- le lancement d’une commande publique de travaux urgents 2024 sur des infrastructures prioritaires.
- la stabilisation de l’évolution annuelle des dépenses de soins.
- la numérisation de la santé (feuille de soin électronique, etc.).
- l’application du ticket modérateur de 10 % sur le « petit risque ».
- la fiscalisation du Ruamm avec une première étape passant des cotisations sociales à une fiscalité à large assiette.
- l’établissement de l’avant-projet de loi sur l’instauration d’un jour de carence dans la fonction publique.
- la réduction de la masse salariale de la fonction publique via la diminution de la valeur du point d’indice.
Certaines de ces mesures, comme la prolongation de l’exonération d’impôt sur le revenu des heures supplémentaires et celle de l’exonération d’impôt sur le revenu et de cotisations sociales pour la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, sont inscrites dans l’avant-projet de loi examiné par l’exécutif lors de la séance du gouvernement mercredi 23 octobre.
Les chiffres des émeutes
- 265 milliards de francs de dégâts, soit l’équivalent de 25 % du PIB.
- 37 milliards de francs de pertes fiscales estimées.
- 700 entreprises matériellement touchées qui concentrent 8 % des salariés du privé.
- 10 000 emplois salariés privés perdus, soit 15 % de l’effectif (plus de 68 000).
- 5 000 personnes indemnisées au chômage total (environ 2 500 habituellement).
- Jusqu’à 14 000 personnes indemnisées au chômage partiel en juin et juillet.
- 64,1 (sur une moyenne longue période de 100) : l’indicateur du climat des affaires à son niveau le plus bas depuis sa création en 1999 (115 en 2022).
- 1 000 radiations d’entreprises individuelles.
(Gouvernement NC, Isee et IEOM)
Anne-Claire Pophillat