Des assises pour un secteur à l’agonie

Le gouvernement organise cette semaine les assises de la culture au centre Tjibaou. Une réflexion de fond est attendue depuis longtemps par les professionnels tant le secteur est en souffrance. Mais à l’aube des provinciales, et après des années d’actions peu ou contre-productives, beaucoup sont sceptiques à l’idée de voir leurs espoirs comblés…

Deux cents personnes convergeront durant trois jours vers le centre culturel Tjibaou à l’occasion de ces assises promises par le pôle culture de Déwé Gorodey au gouvernement. Artistes, personnel de l’administration, des établissements publics, des industries culturelles et associations attendaient de longue date que l’on se penche sérieusement sur ce vaste domaine à l’agonie.

Ces dernières années, ce secteur a particulièrement souffert de la baisse des dotations publiques. Des amputations lourdes ont été perpétrées un peu partout. Les acteurs se disent souvent réduits à « mendier » pour survivre. Des structures disparaissent, les actions ne sont pas pérennisées. Actuellement, chaque province a aussi sa politique culturelle et l’éclatement des compétences (sept directions et établissements publics) pose problème en termes d’organisation, de cohérence d’activités et de formation, etc.

De manière générale les professionnels, qui ont été conviés depuis le mois de décembre à s’exprimer lors d’ateliers de préparation, dénoncent un manque d’intérêt, de considération et de soutien des pouvoirs publics quand d’autres secteurs sont portés aux nues. Pire, il existe visiblement une ambiance délétère à tous les niveaux de décision. Des évènements, nous dit-on, ont été détruits par « pure jalousie », par « médiocrité », des talents ont été stoppés dans leur ascension parce qu’ils dérangeaient, parfois parce qu’ils n’étaient pas du « bon bord politique ». La liste est longue, le dégoût de ceux qui se battent depuis des années est bien réel.

Le potentiel est pourtant là : la Nouvelle- Calédonie est riche d’une histoire, d’un patrimoine, d’une diversité, et de talents exceptionnels, la culture en elle-même se porte bien !  Les enjeux le sont tout autant : la culture est un formidable vecteur de lien social, de rayonnement et peut-être – comme le veulent certains – de développement économique. La question est de savoir comment mettre en valeur ces potentiels, faire vivre ses acteurs, rendre la culture accessible à tous, en optimisant les moyens du bord.

Approche pays

Les ateliers de préparation ont permis de dégager certaines problématiques et surtout des divergences de vision.
Dans les grandes lignes, les professionnels réclament des mesures et des lois pour protéger et promouvoir la culture, une reconnaissance et une professionnalisation des artistes ou encore une rationalisation des dispositifs de soutien et le développement de la formation continue.

On parle aussi d’une meilleure intégration du secteur dans le développement du pays (tourisme, environnement, éducation), et dans le quotidien de ses habitants pour générer le « faire ensemble » et le « vivre ensemble ». On évoque même un travail sur le recensement du poids économique de la culture dans le pays (« il n’y a pas de chiffres »), mais tout le monde n’est pas d’accord sur cette idée d’une économie de la culture ou que la culture doive absolument être « rentable »…

Les avis divergent par ailleurs sur la gestion du secteur, particulièrement « éparpillé ». Une approche pays cohérente est nécessaire et certains estiment qu’une collaboration plus étroite entre les provinces, le gouvernement et la mutualisation des actions et des moyens des établissements publics seraient suffisantes. Alors que d’autres pensent qu’il faudrait tout simplement rassembler toutes les compétences au sein d’un seul opérateur culturel. Des directions entières et des postes disparaîtraient alors complètement.

Le timing interroge

Les assises sont organisées en ateliers. On y a parlé, mercredi, de coutume, de langues ; de la place transversale de la culture, du rayonnement régional et international. Ce jeudi, il doit être question de la cohérence du dispositif de soutien aux arts et à la culture, des lois et mesures du pays. Enfin vendredi, un atelier sera consacré à la gouvernance partagée et au calendrier culturel partagé.

« Nous avons pu parler franchement durant la préparation et nous attendons beaucoup de ce rendez-vous, en particulier une vraie vision politique, nous dit Francis Gaillot, directeur adjoint du Conservatoire de musique et de danse. En ce qui nous concerne, le budget est réétudié tous les ans et on ne sait jamais à l’avance ce qui va nous être attribué. Nous sommes aussi victimes des conflits entre les uns et les autres. C’est la même chose dans le conseil d’administration où les visions s’opposent parfois. C’est compliqué. »

Des propositions concrètes pourraient émerger de ces assises, mais en cette fin de mandature, rien ne garantit que les prochains élus s’appuieront sur ce travail dont la mise en œuvre aura coûté des millions. C’est la crainte de nombreux professionnels et notamment du directeur de la Sacenc, Evariste Wayaridri. « Nous faisons partie de ceux qui considérons qu’il est plus judicieux d’attendre la prochaine mandature. Car ce sont bien les élus qui ont la capacité de changer les choses. Nous n’avons pas attendu les assises pour connaître nos problèmes et interpeller les élus sur différents dossiers. Aujourd’hui, chacun est livré à lui-même. Il faut une politique pays, et un schéma directeur sur 10 ou 15 ans ».

Difficile, en effet, de ne pas s’interroger sur le timing de ces assises organisées avant les élections. On dénonce bien volontiers dans le monde culturel un énième exercice de « propagande politique ». « L’équipe en place souhaite sûrement cocher toutes les cases de sa liste d’actions accomplies et garder la main sur ce secteur », commente une artiste.
Pour beaucoup ce serait assurément dramatique vu l’état dans lequel se trouve la culture aujourd’hui.

Au gouvernement, on estime que c’est un faux problème et que le moment est au contraire parfaitement « idéal » pour se retrouver et faire le point. Le message officiel est le même de la part de ceux qui craignent de voir le modèle toiletté et leurs postes supprimés.

Il semble indispensable que tous les groupes politiques engagés aux prochaines élections prennent le sujet à bras le corps et que l’on imagine l’avenir de la culture de manière moins partisane et plus efficiente.

C.M.

Photo : Pour conduire ces assises, le gouvernement, représenté par Rolande Trolue et Astrid Gopea, a fait appel à Élise Huffer, conseillère culturelle à la Communauté du Pacifique (CPS) basée à Fidji. Elle doit apporter « un regard extérieur » sur nos problématiques et susciter le changement.