Demain, une école calédonienne

Après des années de réflexion et de concertation, les élus du Congrès ont adopté vendredi dernier à une large majorité le projet de délibération relatif à l’avenir de l’école calédonienne. Un texte historique, de compromis, qui pose le cadre juridique de la future école avant sa transformation concrète et qui a pour vocation en particulier de réduire les inégalités entre les élèves.

L es prémisses de ce projet éducatif ne datent pas d’hier. En effet, on s’inscrit ici dans le droit chemin des accords, du rééquilibrage, des transferts de compétences, il y a seize ans, pour l’enseignement primaire, quatre pour l’enseignement du second degré. Le projet éducatif aura été nourri au fil du temps au travers de colloques en 2002, puis en 2010 avec le grand débat sur l’avenir de l’école calédonienne avant d’être élaboré plus récemment durant d’innombrables réunions avec la communauté éducative. Finalement, après onze heures de débat en commission plénière, une quarantaine d’amendements déposés et cette séance du Congrès vendredi, les élus sont enfin tombés d’accord sur ce qui doit constituer la « colonne vertébrale » de notre futur système éducatif. Un préalable essentiel.

Un texte de compromis

Le texte pose donc le cadre du projet, avant la mise en place de plans d’action. « C’est la future ossature du Code de l’éducation, des valeurs partagées dont la principale finalité est d’améliorer la performance et d’y réduire les inégalités », a résumé Hélène Iékawé, membre du gouvernement en charge de l’enseignement. Et c’est surtout le préambule de deux pages qui a particulièrement occupé les élus vendredi, préambule qui sera affiché dans les écoles dès la rentrée. Car il a été décidé qu’à l’image d’autres textes « fondateurs », celui-ci ferait référence à l’histoire et intégrerait les spécificités calédoniennes. On lit ainsi qu’une école « adaptée aux réalités du pays doit être construite », qu’elle doit « prendre en compte l’héritage historique et le contexte de décolonisation qui est le sien », contribuer « aux défis du rééquilibrage » et « devenir le creuset du destin commun ». Cette future école porte, on le comprend, l’objectif de toute une société : celui de « refonder un lien social durable entre les communautés ».

L’école calédonienne s’inscrira bien dans le cadre de l’école républicaine et de ses grandes notions de laïcité, de gratuité, de « liberté, égalité, fraternité ». Mais ses valeurs seront aussi celles de la Nouvelle-Calédonie, « terre de parole, terre de partage ». Il est précisé que les caractéristiques du projet éducatif doivent être orientées vers la réussite « de tous les élèves sans aucune discrimination » et que conformément à l’Accord de Nouméa, seront mieux prises en compte les langues et la culture kanak au sein des programmes, des projets d’école et d’établissements. Tous les élèves devront s’épanouir et apprendre à mieux connaître et à aimer l’autre. Des objectifs ambitieux donc, qui rappellent d’ailleurs sans le dire expressément, ce que l’école de la République n’a pas réussi à faire…

Un texte politique

Le projet de délibération, s’il a obtenu la majorité, n’a pas fait l’unanimité dans les rangs du Congrès avec au final une adoption par 45 voix pour, 3 contre et 5 abstentions. L’Union pour la Calédonie dans la France a voté contre, regrettant en particulier la distinction faite entre les élèves kanak et les autres. Philippe Blaise soulignait par ailleurs la forte « politisation » du texte. « Attention à ne pas exacerber les différences » ou à « transposer les ambiguïtés de l’Accord de Nouméa », a-t-il prévenu. Ses déclarations ont fait un tollé dans les rangs indépendantistes où l’on a trouvé « incroyable, en 2016, de ne toujours pas accepter le rééquilibrage ».

Les Républicains qui n’avaient pas de consigne de vote, se sont en majorité abstenus. Ils ont estimé, pour leur part, regrettable qu’un tel texte « manque de souffle » et ont proposé qu’il soit examiné en février par le prochain Comité des signataires. Mais leur motion préjudicielle a été rejetée. Plusieurs élus UCF et Républicains se sont aussi interrogés sur l’opportunité de se prononcer aujourd’hui sur un système éducatif sans savoir ce que nous réservaient les prochaines années et la sortie de l’Accord. Globalement, la question centrale de ce débat était de savoir si la politique devait s’immiscer ou non dans ce projet. Et pour la majorité, prétendre éluder les références politiques viendrait à nier la réalité, les erreurs commises, le processus d’émancipation et les réponses à apporter aujourd’hui à la société par le biais de l’école. Il a été répété en revanche que ce texte était évolutif, qu’il devrait transcender les futurs accords politiques.

C.Maingourd.

Photo: M.D.

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Place aux actions concrètes

Partenaires sociaux et associations de parents d’élèves doivent se retrouver dès le mois de février pour déterminer les actions concrètes à mettre en oeuvre qui figureront dans une charte d’application. Les élus devront se prononcer sur ces actions vers juillet ou août. Un observatoire de la réussite éducative doit voir le jour prochainement.

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Les déclarations 

Philippe Dunoyer, chef du groupe CE au Congrès

 

« Il était temps d’avancer sur ce sujet. Cela fait déjà 16 ans que les transferts ont été engagés. Et certains pensent même que le projet éducatif intervient un peu tard ! […] C’est une délibération souche, un texte qui réaffirme un certain nombre de principes : l’école garantit la sécurité des élèves, leur protection, elle s’engage et contribue à des actions de promotion de santé, mais elle attend des élèves aussi un devoir de respect à l’égard des enseignants, de l’assiduité, du travail.

À travers cette école, la Nouvelle-Calédonie s’engage à faire des efforts encore plus particuliers à l’égard de ceux qui ont un handicap ou qui ont des besoins particuliers. Et puis de manière un peu plus nouvelle, il est prévu d’instaurer un parcours civique tout au long de la scolarité. Il y a aussi une obligation de formation si les jeunes sortent de la scolarité sans diplôme, la valorisation des filières technologiques au même titre que les filières générales et l’adaptation des formations aux besoins économiques. »

Charles Washetine, président de la commission enseignement au Congrès (Uni)

« Ce projet est l’aboutissement d’un travail engagé il y a plus d’une dizaine d’années. C’est dire la complexité de la réforme du système éducatif. C’est la première fois que la Nouvelle-Calédonie s’approprie son système éducatif. Et cela ne peut lui être que bénéfique. Pour nous, cela est nécessaire compte tenu de l’échec du système actuel, caractérisé par son inégalité. Nous considérerons aujourd’hui qu’il y a une opportunité à saisir (…) pour que la Nouvelle Calédonie trouve un modèle éducatif qui soit à l’image de son pays et qui tienne compte à la fois de ses réalités historiques et sociologiques. […] Mais c’est une tâche difficile compte tenu du public calédonien. Le défi est devant nous. »

Sonia Backes, chef du groupe Les Républicains

 

«Un certain nombre de nos amendements ont été pris en compte pour ancrer cette école calédonienne dans l’école de la République mais également pour l’adapter aux réalités locales notamment sur la place de l’enseignement professionnel, la place de l’apprentissage, le lien entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. Tout cela est plutôt positif. Par contre, on a considéré que le préambule de ce projet éducatif, très politique, manquait de souffle. On se demande à la lecture de ce projet quelle est l’ambition que nous avons pour l’école calédonienne pour les prochaines générations. On n’a pas de réponses à ces questions et c’est pour cela qu’on a demandé que ce sujet, essentiel, soit discuté au Comité des signataires. Cette délibération est inadaptée, selon nous, aux enjeux qui se présentent. Les Républicains estiment que l’école ne peut pas être exclue des discussions sur notre futur projet de société puisqu’elle en est l’un des piliers. »