De nouvelles méthodes pour gérer le harcèlement

Teenager bully menacing boy while friends are recording. Bullying and violence at school concept

Un enfant sur dix serait victime de harcèlement. Auparavant circonscrit à l’établissement scolaire ou ses abords, le phénomène s’est déplacé sur les réseaux sociaux et provoque dépression, phobie scolaire, voire tentative de suicide. Le vice-rectorat a constitué une équipe dédiée afin d’améliorer la prise en charge des victimes et des auteurs.

Mieux repérer et mieux traiter les cas de harcèlement scolaire. C’est tout l’enjeu de l’équipe ressource mise en place à la rentrée 2022 au vice-rectorat. « On peut apporter aux écoles de la technique et un regard extérieur, désamorcer une situation si besoin. On agit comme facilitateur », introduit Catherine Lehmann, médecin conseillère technique au vice-rectorat.

Le harcèlement, « une situation répétitive de violence psychologique, verbale ou physique, sur une personne en incapacité de se défendre », décrit Gérald Giacomino, chef de service gestion des faits de violence au vice-rectorat, n’épargne aucun établissement. Le phénomène se traduit par des insultes, des mots humiliants, des incitations au suicide, des propos ou photos obscènes… « Au début, c’est souvent par jeu, poursuit Gérald Giacomino, juste un petit post sur les réseaux sociaux par exemple. On prend alors conscience d’avoir un certain pouvoir. »

CULPABILITÉ, PEUR, HONTE

Les conséquences peuvent s’avérer dévastatrices. D’où l’intérêt d’apprendre à déceler les signes évocateurs d’un problème. Mal-être, absentéisme, chute des résultats, troubles alimentaires… « Cela n’est pas forcément synonyme de harcèlement, mais montre que quelque chose ne va pas. » Et les effets sont multiples. À court terme, « les victimes se sentent dévalorisées, voire coupables, ont peur, honte, et peuvent ne plus vouloir aller à l’école ».

À moyen et long terme, « il faut du temps pour se reconstruire, cela met à mal l’estime de soi et, parfois, peut aller jusqu’au suicide, c’est un risque majeur », liste Catherine Lehmann. « Il y a déjà eu des cas », note Annabelle Lepez, adjudante, qui dirige la Maison de protection des familles, au Mont-Dore. « Le cyberharcèlement est le plus problématique, parce que personne ne le voit et qu’il n’est pas délimité dans le temps. » Il se poursuit les soirs, les week-ends…

Annabelle Lepez dirige la Maison de protection des familles, située à Pont-des-Français. Une antenne se trouve également à Koné.  / © A.-C.P.

La gendarme a suivi une jeune fille de 3e qui était cyberharcelée. « Elle recevait des messages très durs, des incitations au suicide lui disant qu’elle ne servait à rien. Cela a duré plusieurs mois. Elle était vraiment mal, très renfermée. » Dans ce genre de situation grave, Annabelle Lepez conseille de porter plainte. Les peines encourues : prison et amende, mais cela se limite plutôt à un rappel à la loi ou à des travaux d’intérêt général.

La plupart du temps, le moteur est identique : la différence. « Les attaques se font beaucoup sur le physique ou sur les premiers de la classe », précise l’adjudante. « Dès qu’une fragilité est décelée », ajoute Gérald Giacomino. Qu’est-ce qui peut faire basculer ? « Le harceleur présente souvent la même vulnérabilité que les victimes : il manque d’estime de soi, veut appartenir à un groupe, n’arrive pas à entrer en communication autrement et peut aussi être en échec scolaire », analyse Catherine Lehmann.

DES SITUATIONS TRÈS « COMPLEXES »

« La première chose à faire avec la victime est de l’écouter, de lui donner des moyens pour exprimer ses émotions et des outils pour l’aider à dire non », poursuit Gérard Giacomino. La souffrance est violente aussi pour les parents, des proches qui doivent être impliqués dans le processus. « C’est une douleur insupportable qui naît aussi d’une grande culpabilité, donc on essaie de les déculpabiliser. On ne voit pas tout et même les personnes les plus proches des enfants peuvent passer à côté. C’est tellement complexe ce genre de situation. »

La démarche ne s’arrête pas là. « Il faut également convier l’auteur à la recherche de solutions, car la sanction en elle-même n’a pas d’intérêt éducatif. On lui demande ce qu’il peut faire pour résoudre le conflit. » Les témoins sont également très importants, qu’ils soient passifs ou actifs. « Ils peuvent basculer vers la peur, ou devenir suiveur par effet d’intimidation. »

Gérald Giacomino note une libération de la parole. « Elle est essentielle, insiste Annabelle Lepez. C’est l’affaire de tous. Il faut en parler. »

Anne-Claire Pophillat

Photo : Le harcèlement, ou cyberharcèlement, fonctionne autour de trois acteurs : l’auteur ou les auteurs, la victime et les témoins, actifs ou passifs, qui jouent aussi un rôle crucial. Un jeune sur cinq a déjà fait partie d’un groupe qui harcèle quelqu’un (moqué, insulté, humilié…). / © Shutterstock

Prévenir et sensibiliser
Favoriser le bien-être dans les établissements est un des axes développés par le vice-rectorat à travers la labellisation ABMA : Aller bien pour mieux apprendre. Cela prend différentes formes : repenser l’accueil des élèves dans la cour, par exemple en aménageant un espace réservé pour les 6e, décaler les sorties afin de prévenir les bousculades dans les couloirs, mieux gérer les flux à la cantine… La démarche ABMA est déployée depuis 2019 dans 16 collèges, dont Kaméré, Rivière-Salée, Thio, Hienghène, Katiramona, etc. L’objectif est de traiter 80 % des établissements d’ici 2027.
De son côté, la gendarmerie intervient quasi-quotidiennement dans les salles de classe, du primaire au lycée, avec la Maison de protection des familles. « Plus tôt on parle du harcèlement, mieux c’est », appuie Annabelle Lepez, adjudante en charge de la MPF. Car les enfants « ne se rendent pas toujours compte du mal que cela peut faire, il y a une méconnaissance de l’impact sur les victimes ».
La gendarme conseille aux parents de ne pas donner de smartphone avant 13 ans, âge de responsabilité pénale, et surtout de contrôler leurs usages.

 

« Parfois, on se sent un peu désarmés »

Isabelle Fontenit-Réau, principale du collège de Katiramona, gère « régulièrement » des cas.

Ce genre de violence fait presque partie de son quotidien. « Ça se développe beaucoup sur les réseaux sociaux, on a régulièrement des cas. On ne les prend jamais à la légère, toujours avec sérieux. » Insultes, menaces, publications de photos. « Les jeunes le font parfois sans mesurer les conséquences de diffuser à grande échelle. »

La prise en charge est encadrée. Rencontre avec la victime, « on essaie de l’aider à se protéger », et avec les parents. Le protocole existant « fonctionne bien », estime Isabelle Fontenit-Réau, la principale. Un référent harcèlement a été mis en place il y a quatre ans. Il s’agit d’une enseignante qui, avec l’infirmière scolaire, est une interlocutrice privilégiée des collégiens.

LES PORTABLES ÉTEINTS AU COLLÈGE

La cellule de veille du collège, labellisé ABMA depuis l’an dernier, se réunit chaque jeudi avec le conseiller principal d’éducation, la psychologue scolaire, l’assistante sociale et la référente harcèlement. Un moment important. « On essaie de repérer les petites tensions pour les résoudre avant que ça ne dégénère. » Des temps de sensibilisation, de visionnage de films, de groupe de parole « pour apprendre à exprimer ses émotions avec des mots », sont proposés aux élèves. L’équipe travaille également avec le vice-rectorat.

Malgré tout, « on se sent un peu désarmés », « dépassés » par certaines situations qui peuvent ne plus relever de l’école, quand « ça se passe en dehors, le soir, le week-end. Au collège, normalement, les portables doivent être éteints. » Et encore faut-il être informé, souligne la principale. « Cela peut échapper aux parents et donc à l’instance scolaire. »

Mais, le parent reste le « premier éducateur », insiste Isabelle Fontenit-Réau. Il doit s’intéresser à l’enfant, imposer des règles à la maison, d’heure de coucher, de temps d’écran, etc. La crainte, c’est qu’avec les plus grands, le phénomène s’aggrave. En général, « les cas se résolvent au sein de l’établissement, mais pas tout le temps ».

Et puis, des fois, les collégiens concernés désirent changer d’établissement. « Je ne suis pas sûre que ce soit la solution, mais si la famille le souhaite, on soutient la démarche et on les accompagne. »

 

« Les parents peuvent se sentir abandonnés »

Aurélie Sanmoekri-Gaillot traite les cas de harcèlement scolaire à l’UGPE depuis trois ans. Elle s’en est saisie après avoir été directement touchée par le sujet.

« J’ai connu la problématique en tant que maman. Mon fils a été harcelé pendant des mois et en arrêt pendant presque un an. Ça a été très compliqué », témoigne Aurélie Sanmoekri-Gaillot. Depuis, elle porte le dossier à bras le corps. Et ne veut pas que les parents subissent ce qu’elle a vécu : le conflit avec la direction. « Certains chefs d’établissement ne sont pas très enclins à agir ou se mettent tout de suite sur leurs gardes, déplore Aurélie Sanmoekri-Gaillot. Or, il faut qu’ils prennent conscience de la gravité de la situation et qu’ils essaient de comprendre, il ne faut pas faire l’autruche. »

ÊTRE RECONNU DANS SA SOUFFRANCE

Elle défend avant tout la communication. Sans quoi, le lien est rompu et les adultes s’affrontent. « On cherche le coupable au lieu de chercher une solution ensemble. » La première des choses à faire, selon la parent d’élève, quand il y a une suspicion de harcèlement, est de créer une cellule d’écoute également dédiée aux parents. « Ils sont aussi victimes, et quand on n’est pas écouté, la colère monte, alors il faut désamorcer la tension. C’est très dur psychologiquement, les parents peuvent se sentir abandonnés. Ils se posent plein de questions qui demandent des réponses. Et quand le cas n’est pas pris au sérieux, cela peut faire exploser une famille. »

Aurélie Sanmoekri-Gaillot regrette le manque de psychologues dans les écoles, plaide pour davantage de sensibilisation, évoque la création d’un numéro d’urgence et prône le nécessaire « suivi psychologique pour comprendre comment on en arrive à de tels actes ».

BOURREAUX

Elle remarque que des élèves harcelés peuvent devenir harceleurs « quand leur état de victime n’a pas été pris en compte. J’ai eu des cas, l’an dernier, de victimes qui sont devenues bourreaux. On s’est rendu compte que leurs souffrances avaient été minimisées. On a besoin d’être reconnu comme victime pour entamer une démarche de guérison. »

Sa priorité : éviter le pire. Au-delà de la phobie scolaire ou des troubles du comportement, il y a les idées suicidaires. « J’ai eu un dossier où ça a été jusqu’à la tentative de suicide. »

Violences sexuelles : « C’est le plus gros de notre activité »

« On bat de tristes records sur le territoire », témoigne Annabelle Lepez, adjudante, qui dirige la Maison de protection des familles (MPF). Les agents, basés au Pont-des-Français et à Koné, interviennent également sur ce thème en classe, ce qui « peut permettre de détecter des cas ». Et il y en a beaucoup, estime l’adjudante. En raison notamment de la libération de la parole.

« C’est le plus gros de notre activité judiciaire. On entend des jeunes victimes de violences sexuelles presque tous les jours. Les chiffres de 2022 devraient encore augmenter cette année », annonce Annabelle Lepez. L’an dernier, 198 dossiers ont été traités par la MPF. 198 mineurs ont été entendus pour des infractions à caractère sexuel et quelques cas de violences intra-familiales. Des chiffres qui concernent uniquement la zone gendarmerie, c’est-à-dire hors Nouméa. Sur la capitale, « on ne doit pas en être loin ».

♦ Quasiment un jeune sur deux a subi des violences verbales (45 %) au moins une fois au cours de l’année, plus d’un jeune sur quatre a été victime de violences physiques (28 %), plus d’un jeune sur cinq de violences en ligne (21 %) et un sur vingt de violences sexuelles (5 %).

 

Anne-Claire Pophillat (© DR)