Coup d’arrêt sur la centrale à charbon

Le 14 octobre dernier, le conseil d’administration d’Eramet a tiré les conséquences de la situation financière désastreuse du groupe, et tout particulièrement de sa branche nickel. La décision de suspendre la construction de la centrale C sur le site de l’usine de Doniambo a fait l’effet d’une bombe. Mais cette décision met aussi en lumière l’inconsistance qu’il y aurait pour la Nouvelle-Calédonie à vouloir devenir, coûte que coûte, actionnaire majoritaire au capital de la SLN.

Il en va des investissements industriels comme de la conjoncture : tantôt alimentés par des perspectives favorables comme en 2011 pour Eramet, ils font l’objet d’annonces mirifiques, tantôt ils plongent acteurs et commentateurs dans le marasme, l’inquiétude et la surenchère, comme la semaine dernière. Mais sur le fond de l’affaire, c’est-à-dire la décision prise par le conseil d’administration d’Eramet de limiter strictement ses investissements aux domaines de la sécurité et de la maintenance, il n’y a finalement rien de surprenant, mais surtout rien de nouveau.

En 2007-2008 déjà, un premier projet de centrale électrique avait dû être stoppé en raison d’une énième crise du nickel. En 2014, le projet SLN d’extraction de nickel de Weda Bay, en Indonésie, avait été suspendu. De plus, aujourd’hui comme hier, la situation du groupe est particulièrement complexe et combine une réelle crise du cours des matières premières et de fortes oppositions stratégiques entre les principaux actionnaires. Les chiffres qui circulaient la semaine dernière sont en effet affolants : ils font état, rien que pour la SLN, de pertes annuelles qui pourraient atteindre les 30 milliards de francs. Ce chiffre n’est d’ailleurs pas inintéressant quand on le met en perspective avec les annonces faites cette semaine par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie quant au prochain débat d’orientation budgétaire du pays pour 2016 et qui fixe comme objectif de faire passer le budget propre de la Nouvelle-Calédonie de 55 milliards en 2014 à un peu plus de 40 milliards en 2017. Les chiffres sont têtus et les ordres de grandeur bien plus éloquents que les diatribes politiciennes.

Menaces sur l’emploi et la sous-traitance

À elles seules, ces pertes annoncées justifient, à tout le moins, que l’industriel s’interroge sur la stratégie à conduire en Nouvelle-Calédonie. À ce jour, aucune solution définitive n’a toutefois été envisagée. Eramet-SLN indique sobrement que si son projet est suspendu, les études pour la construction de la centrale C se poursuivent et qu’une décision interviendra courant 2016 sans plus de précisions sur les démarches entreprises, notamment auprès de l’état, pour le montage de l’indispensable dossier de défiscalisation.

L’annonce de cette suspension a immédiatement suscité colère et inquiétude. Dans un virulent communiqué, le président de la province Sud a indiqué qu’il mettrait tout en œuvre pour qu’Eramet revienne sur sa décision (qui n’en est pas encore une), allant même jusqu’à menacer le groupe de ne pas lui renouveler les autorisations administratives nécessaires au fonctionnement de l’actuelle centrale électrique, si celle-ci ne devait pas être remplacée dans les délais prévus. Sur le site de Doniambo, le personnel de la SLN a fait part de son inquiétude, craignant que les emplois soient menacés à très court terme, non seulement chez les sous-traitants mais aussi  pour les salariés de l’entreprise. La rumeur a même circulé à Montparnasse, au siège social d’Eramet, que l’arrêt de l’un des trois fours serait à l’étude.Une hypothèse sans doute sans fondement car elle aurait pour conséquence la destruction définitive d’un tiers de la capacité de production de la vieille dame.

Mais la situation reste pourtant objectivement préoccupante et ce d’autant que si cette fameuse centrale ne devait pas voir le jour,  ce sont près de 100 milliards de francs de travaux et d’études qui ne se feraient plus. Par la voix de la ministre des Outre-mer, relayée à Nouméa par le haut-commissaire Vincent Bouvier, l’état a annoncé cette semaine suivre ce dossier avec attention et vigilance, même si George Pau-Langevin a précisé qu’en raison de la « passe délicate que traverse le nickel en Nouvelle-Calédonie, elle craignait que l’état ne puisse totalement se substituer à l’industriel ». Pas plus l’État, dont on connaît les difficultés, que la Nouvelle-Calédonie, qui devrait présenter un budget 2016 en déficit de 10 milliards de francs, ne sont en mesure de prendre la place d’Eramet même s’ils sont directement ou indirectement représentés au conseil d’administration et au capital.

En revanche, il revient aux pouvoirs publics de mettre en place les conditions nécessaires à la sauvegarde des emplois, aux conditions juridiques et fiscales de réalisation des investissements du secteur industriel et plus particulièrement de la mine en ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie. À cet égard, le conflit des rouleurs et des mineurs nous a montré qu’à l’opposé de tout pragmatisme, de toute capacité d’adaptation, certains préfèrent encore s’arc-bouter sur des positions idéologiques indéfendables. Au regard de leurs responsabilités dans cette affaire, ce n’est pas rassurant pour la suite.

C.V