La non-reconduction de Manuel Valls au poste de ministre des Outre-mer dans le gouvernement Lecornu II interroge le devenir du projet d’accord de Bougival. Des intentions divergentes se précisent à Paris.
Ce n’est pas le moindre des paradoxes. Missionné par Emmanuel Macron pour engager des consultations avec les forces politiques, le Premier ministre démissionnaire Sébastien Lecornu avait érigé la Nouvelle-Calédonie au rang de « priorité » dans les dossiers à traiter en urgence, au même titre que le budget de la France. « À 18 000 kilomètres d’ici, nous avons une situation institutionnelle qui ne peut pas attendre », avait-il rappelé lors de son passage, très regardé – près de sept millions de téléspectateurs – au journal de 20 heures de France 2, mercredi 8 octobre.
En dépit de ces déclarations, Manuel Valls qui, depuis décembre 2024, avait réussi à remettre toutes les composantes du Congrès de la Nouvelle-Calédonie autour de la table des négociations et à les y maintenir, jusqu’à la signature du projet d’accord de Bougival le 12 juillet, n’est pas reconduit dans le gouvernement Lecornu II, dont la composition a été annoncée dans la soirée du dimanche 12 octobre.
Au moment, donc, où il s’agit de mettre en œuvre « en urgence », sur le plan législatif, les dispositions contenues dans le projet d’accord de Bougival – ce qui ne se présente pas comme une simple formalité –, celui qui en a été le principal artisan ne siégera plus sur le banc du Gouvernement lors des débats parlementaires.
DU TROISIÈME AU TREIZIÈME RANG
Lundi 13 octobre en fin de matinée, en toute discrétion, sans presse ni invités, la passation des pouvoirs s’est effectuée rue Oudinot entre le ministre sortant, ministre d’État qui occupait le troisième rang dans l’ordre protocolaire dans le précédent gouvernement, et sa successeure, Naïma Moutchou, élue députée du Val-d’Oise en 2017 puis vice-présidente de l’Assemblée nationale en 2022, reléguée au treizième rang.
Même si elle était vice-présidente de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie en 2021-2022, Naïma Moutchou, qui se saisit du dossier, n’aura pas instantanément la maîtrise qu’en avait son prédécesseur, ni la connaissance des acteurs, ni son poids politique au moment des arbitrages difficiles.
Ce qui interroge, forcément, sur les raisons de ce changement de cap et de capitaine aux commandes de la rue Oudinot. Jusqu’à dimanche, le ministre sortant entretenait la ferme conviction de rester à son poste. N’avait-il pas été maintenu dans le gouverne- ment Lecornu I, annoncé une semaine plus tôt, démissionné quatorze heures plus tard ? Lors de ses échanges avec le président de la République, Emmanuel Macron, rien ne lui laissait envisager une mise à l’écart. Mais c’est à Matignon que la décision a été prise.
Tout à sa volonté de se concilier le soutien, ou du moins la non-censure du PS, il n’a pas échappé à Sébastien Lecornu que, pour celui-ci, l’ancien Premier ministre Manuel Valls dans le gouvernement de François Hollande, tout comme Elisabeth Borne, la Première ministre sous l’autorité de laquelle a été adoptée la réforme des retraites en 2023, étaient devenus des « urticants ». Exit, donc, Valls et Borne, ce qui permet de faire la place à de nouveaux visages et d’en finir avec ces « ex » devenus encombrants. Il n’empêche que dans ces conditions, la question du pilotage du dossier calédonien – et plus largement des politiques publiques concernant les outre-mer – devient à son tour un sujet de « préoccupation majeure ».
Dans un message vidéo posté lundi 13 octobre, Manuel Valls ne cache pas son amertume de devoir quitter une mission au ministère des Outre-mer à laquelle il aura consacré une énergie et une force de propulsion largement reconnues et saluées au-delà des rangs macronistes et chez les élus ultra- marins. Il ne manque pas de souligner que « les violences de mai 2024 auraient pu être évitées », une pierre dans le jardin de ceux qui l’avaient précédé et sont toujours à la tête de l’exécutif. Surtout, il met en garde contre « le risque d’une remise en cause de l’accord », rappelant que « ce que nous avons réussi à faire sur la Nouvelle-Calédonie, contre toute attente, contre tous les obstacles, est dû à un haut niveau de portage politique ».
VOTE « CONTRE » DU RN
Un plaidoyer aux allures testamentaires au moment où s’est engagé, dès ce mercredi 15 octobre au Sénat, l’examen de la proposition de loi organique sur le report des élections provinciales. Il ne devrait pas y rencontrer d’obstacles majeurs.
La partie s’annonce plus compliquée à l’Assemblée nationale, où le texte va être transmis immédiatement, examiné précipitamment en commission et débattu en séance, selon l’ordre du jour établi par la conférence des présidents, mercredi 22 octobre. Car le vote « contre » annoncé et confirmé par le Rassemblement national (RN) sur ce texte préfigure son opposition à la mise en œuvre du processus de Bougival, et donc, par la suite, au projet de loi constitutionnelle « portant création et organisation politique et institutionnelle de l’État de la Nouvelle-Calédonie » qui a été présenté mardi 14 octobre en Conseil des ministres et transmis au Parlement.
Une opposition qui converge avec celle du FLNKS dans sa composition actuelle et qui s’est scellée concrètement, selon nos informations, confirmées par l’un des participants, lors de la rencontre qui s’est tenue à Paris, en septembre, entre Christian Tein, le président du Front, et deux des principaux dirigeants du RN chargés des outre-mer, Louis Aliot et André Rougé. Une sorte d’alliance des contraires pour mettre en échec le « pari sur la confiance » scellé à Bougival.
À Paris, Patrick Roger

