Conflit minier : L’État tente de reprendre la main

Après un pic de tensions, l’appel aux discussions lancé par le ministre des Outre-mer a ramené un calme relatif sur le territoire. L’intervention de Sébastien Lecornu, le 11 décembre, a également été l’occasion de poser quelques jalons pour les discussions à venir.

Après un début de semaine explosif, l’interview du ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, par nos confrères de Caledonia, avait contribué a ramené un calme relatif. La situation demeure très tendue et est émaillée de dégradations du côté de la mine de Goro. Un contexte qui tranche assez sensiblement avec celui de la fin du mois d’octobre et la première réunion sur l’îlot Leprédour, où le ministre avait réuni l’ensemble des forces politiques autour de la table afin d’engager des discussions sur l’avenir institutionnel. L’annonce de la cession effective de l’usine du Sud est passée par là et a littéralement fait éclater les très fragiles équilibres qui avaient pu être trouvés.

La dernière réunion qui se tenait la veille de l’intervention télévisuelle du ministre s’est déroulée sans les indépendantistes, qui avaient décidé de quitter la table. Comme l’a souligné le ministre, les discussions bilatérales ont toutefois été maintenues. Des échanges entre Sébastien Lecornu et les représentants du FLNKS ont notamment eu lieu le 14 décembre. Le retrait des indépendantistes du groupe de discussion « Leprédour » n’est d’ailleurs pas vu par le ministre comme un échec, mais plutôt comme une évolution du dialogue qui est, il l’a rappelé à plusieurs reprises, la seule issue possible dans le dossier calédonien. C’est donc le dialogue collectif qu’il faut désormais renouer.

Sébastien Lecornu a toutefois été un peu plus loin que de simplement appeler aux discussions. Il a évoqué ce qui pourra et ce qui devra être évoqué entre les partenaires politiques de l’Accord de Nouméa. Le nickel devrait figurer en bonne place de la liste de ces sujets. Ces derniers jours, le collectif « Usine du Sud = usine pays » avait dénoncé le rôle de l’État et son soutien au projet de reprise Prony Resources-Trafigura. Des affirmations fermement démenties par le ministre, qui a martelé que l’État soutient l’économie calédonienne, ses emplois et plus particulièrement la filière nickel, mais ne dispose pas de la faculté de prendre position dans des tractations entre des entreprises privées et ne favorise pas une offre plutôt qu’une autre. Le fait est que, sans l’aide l’État qui met sur la table près de 60 milliards de francs, l’usine du Sud n’a vraisemblablement plus d’avenir. Aucun des candidats à la reprise n’avait envisagé de se passer de ces aides. C’est également le cas des deux autres usines du territoire, qui ont ou vont encore bénéficier d’un important soutien financier de l’État.

Réponse au préalable minier

Mais les discussions qui s’engagent ne porteront pas simplement sur l’usine du Sud qui, d’une certaine manière, n’a fait que raviver des discours politiques vindicatifs de part et d’autre. Comme l’ont montré les résultats des différentes élections de ces dernières décennies, les blocs n’ont pas évolué ou relativement peu. Les discussions pourraient porter sur la stratégie nickel à court, moyen et long terme (lire par ailleurs). Un sujet d’autant plus important que le marché du nickel pour les batteries des véhicules électriques est encore émergent et soumis à des risques de ruptures technologiques. En d’autres termes, l’avenir des batteries au nickel pourrait connaître un coup d’arrêt face à l’émergence de technologies moins coûteuses sur le plan technique, financier et environnemental comme l’hydrogène ou d’autres technologies de batterie sans nickel ou cobalt. Une possibilité évoquée par des spécialistes comme Didier Julienne* qui, pour certains, donnent un horizon d’une dizaine d’années aux batteries au nickel.

Le retournement du marché et la stratégie de se concentrer uniquement sur le marché des batteries pourraient conduire l’usine du Sud dans une situation délicate. Dans le pire des scénarios, elle serait amenée à fermer, au détail près que l’opérateur n’aurait probablement pas les moyens d’assurer la déconstruction du site industriel et la remise en état. Ce ne sont pas les garanties environnementales de quelques dizaines de milliards de francs qui le permettront.

Si l’usine du Sud préoccupe le ministre des Outre-mer pour les 3 000 emplois qu’elle représente et les risques sociaux qui seraient liés à une fermeture, les discussions sont désormais clairement politiques. C’est d’ailleurs dans ce sens que Raphaël Mapou a déclaré passer la main au FLNKS, pour laisser les politiques reprendre le dossier, mais aussi, peut-être, pour se décharger des responsabilités qui seront recherchées dans le cadre des dégradations.

S’il ne reprend pas le vocabulaire employé par le FLNKS, l’appel du ministre aux discussions ressemble à une réponse au « préalable minier » affirmé à plusieurs reprises par l’Union calédonienne. Dans la balance, le ministre a logiquement déposé en premier lieu le retour au calme. Ses mots n’ont d’ailleurs pas été tendres. « Les années 80, c’est de la violence, mais aussi beaucoup de responsabilités politiques qui a donné lieu à la poignée de mains, puis aux accords de Matignon et à l’Accord de Nouméa. Soit l’on n’a pas de mémoire et l’on n’est pas digne de nos prédécesseurs et l’on ne se montre pas au niveau de nos aïeux, soit on essaye de s’élever à la hauteur de leur héritage, celui de Nainville- les-Roches, de Matignon-Oudinot et de la poignée de main », a lâché Sébastien Lecornu.

Définir les sujets de discussions

Le ministre a également évoqué les Nations unies qui observent la France dans le cadre du processus de décolonisation de la Nouvelle-Calédonie. Une allusion qui est loin d’être anodine, quelques jours après la demande de retrait de la Polynésie française de la liste des territoires non autonomes de l’ONU. Une demande rejetée par la quatrième commission des Nations unies. Au-delà de la question politique dont le traitement associe l’ensemble des composantes, la problématique des droits des peuples autochtones ne peut être traitée que par l’État et les représentants du peuple kanak. Une problématique qui couvre en particulier la question de l’exploitation des ressources. Le ministre a donc planté le décor de ce qui pourrait se passer dans les semaines à venir et des dossiers à mettre sur la table.

Le premier est de parvenir à donner corps au « oui » et au « non » et de voir comment l’une et l’autre des solutions pourraient s’accorder. De là à penser que les discussions porteront sur une possibilité d’État associé, il n’y a qu’un pas que le ministre n’a pas franchi. À noter que cette solution est désormais souhaitée par la majorité des partis indépendantistes. Mais elle est loin de susciter l’adhésion chez les non-indépendantistes, à l’exception de Calédonie ensemble, qui appelait à un « oui collectif » dans la foulée de la consultation du 4 octobre. Sébastien Lecornu a d’ailleurs évoqué le troisième référendum comme une possibilité et non comme un rendez-vous inéluctable.

Le deuxième dossier sera celui du nickel de manière générale. Toujours dans l’optique de l’évolution institutionnelle de la Nouvelle- Calédonie, le ministre souhaite discuter du rôle de l’État vis-à-vis du nickel et, en particulier, des risques économiques et sociaux liés aux soubresauts de ce marché si volatil, sans compter les difficultés des opérateurs calédoniens à être rentables.

Autre volet du dossier, l’actionnariat dans les différentes unités de production. Pour le représentant du gouvernement qui est plutôt un défenseur de la participation des collectivités, il est nécessaire de s’interroger sur les relations d’interdépendance avec les grandes puissances, mais également les grandes multinationales dont les intérêts ne sont pas nécessairement les mêmes que celles des Calédoniens. « Les Calédoniens sont inquiets de voir Trafigura, ce n’est pas un mauvais débat. Où va la richesse calédonienne et comment la population peut en disposer ? […] Je crois à la défense de l’intérêt général face aux intérêts de certains capitaux », a indiqué le ministre des Outre-mer, ajoutant sur les oppositions entre Calédoniens que « ce n’est pas l’usine des uns contre l’usine des autres. C’est un patrimoine qui appartient à l’ensemble de la Nouvelle- Calédonie ».

Un sujet d’autant plus important qu’il divise entre indépendantistes et non- indépendantistes, mais également au sein même des deux camps. Dans une interview accordée aux Nouvelles calédoniennes en septembre, Roch Wamytan expliquait qu’il ne fallait pas « s’interdire de questionner le modèle que nous avons porté pour l’usine du Nord avant d’ouvrir d’autres projets ».

* lire notamment 1 : La tribune.fr 

2 : Le blog de Didier Julienne 


L’insaisissable stratégie de l’État

Comme l’a souligné Sébastien Lecornu, la France ne peut intervenir dans des discussions entre deux sociétés privées, quand bien même sa participation financière conditionne les projets de reprise. Il ne faut toutefois pas oublier que l’État est lui-même impliqué dans l’exploitation du nickel au travers de ses participations dans le très stratégique groupe Eramet, maison-mère de la SLN. Alors que l’avenir de la SLN ne cesse de s’assombrir, Eramet a annoncé, le 15 décembre, la signature d’un partenariat avec BASF, l’un des plus grands groupes de chimie au monde. Le métallurgiste français va poursuivre la mise en valeur de son gisement de Weda Bay, en Indonésie, avec la construction d’une unité de production hydrométallurgique.

Des études vont être lancées prochainement afin d’évaluer l’opportunité de construire cette usine destinée à alimenter le marché des batteries pour les véhicules électriques. Comme Vale NC, l’usine pourrait produire, dans un premier temps, un produit semi-fini de type NHC, avant la mise en service d’une raffinerie capable de sortir un produit fini. Comme le précise le communiqué, « ce développement permettra à BASF d’avoir accès à une source sécurisée supplémentaire de 42 000 tonnes de nickel et de 5 000 tonnes de cobalt par an, provenant de mines exploitées selon des normes sociétales et environnementales reconnues au niveau international ».

À noter également les propos de Christel Bories, la PDG d’Eramet, qui précisait qu’avec « des gisements à fort potentiel et un savoir-faire unique en métallurgie, Eramet est bien positionné pour fournir les métaux critiques de la transition énergétique. Notre développement dans ce domaine constitue un pilier essentiel de la stratégie du groupe. Ce partenariat avec BASF est une excellente opportunité en ligne avec notre ambition de fournir un approvisionnement fiable et responsable à l’industrie des batteries ».

M.D.

©Capture d’écran Caledonia