Cellules d’écoute, formations, boîte à outils, décrochage scolaire, activités de cohésion… Le vice-rectorat prépare la rentrée de plus de 3 100 enseignants et administratifs et plus de 49 000 élèves du second degré. Les explications de Marie-Christine Garin, infirmière, et Maryline Rodes, conseillère technique service social.
DNC : Une cellule d’écoute, gérée par une dizaine de psychologues, infirmières et assistantes sociales, a été créée le 20 mai pour le personnel des établissements scolaires. Combien d’appels avez-vous reçus ?
Maryline Rodes : Une trentaine [au 6 juin, NDLR]. Nous sommes dans une situation de sidération, les gens ont encore du mal à réagir et doivent d’abord assurer les besoins primaires : alimentation, essence, gaz, etc. L’objectif est de répondre à une période de grand stress, à des situations angoissantes et problématiques.
Marie-Christine Garin : Je pense qu’ils vont être confrontés à la réalité à la rentrée, parfois à des enfants qu’ils ont peur de retrouver, sachant que certains ont pu être sur des barrages en face. Ils se demande- ront comment retrouver de la cohésion. On devrait alors recevoir davantage d’ap- pels. Au niveau des questions posées, c’était autant de l’écoute psychologique que des questions RH et administratives.
Est-ce que des agents sont particulièrement en souffrance ?
Maryline Rodes : Certains vont mal, sont émotionnellement très touchés, ont peur de sortir, de l’avenir, etc. Nous écoutons beaucoup, aidons à évaluer les besoins, à déterminer s’ils sont isolés ou pas, les dirigeons vers un médecin ou un psychologue. Nous nous préoccuperons aussi de ceux qui seront absents à la rentrée ou pour lesquels nous n’aurons pas de nouvelles, pour ne laisser personne de côté.
Marie-Christine Garin : À la suite d’un questionnaire lancé dans un établissement pour savoir comment se portait le personnel, nous avons appelé plus de 25 personnes qui ont déclaré être en souffrance ou en isolement extrême. L’expérience a été appréciée, donc le questionnaire sera diffusé à l’ensemble des collèges et lycées.
Anticipez-vous de nombreuses absences à la rentrée ?
Maryline Rodes : Nous envisageons plusieurs scenarii et mettons en place des procé- dures pour toutes les situations : si tout le monde est là, s’il y a la moitié du personnel, etc. Nous chercherons des remplaçants et verrons s’il peut y avoir des remplacements entre les établissements, des regroupements d’effectifs… Et puis cela dépendra aussi du nombre d’élèves.
Comment préparez-vous la reprise ?
Marie-Christine Garin : Il y a beaucoup de réunions et de visioconférences entre le vice-rectorat et les chefs d’établissement. Un séminaire a été proposé à tous les encadrants lundi, pour que les inspecteurs transmettent les protocoles, les outils créés, comme les foires aux questions, tout ce qui peut leur permettre de manager le mieux possible et de répondre aux sollicitations du personnel comme des élèves. Une formation TOP, technique d’optimisation du potentiel, un ensemble de stratégies mentales et de méthodes pour mobiliser au mieux ses ressources affectives, cognitives et comportementales pour faire face aux situations de conflit, est prévue pour les directeurs.
Maryline Rodes : On se prépare aussi à accompagner l’état émotionnel des enseignants et des agents administratifs, pour que tous aient eu du temps pour revenir assez forts afin d’accueillir les enfants, qui seront également très déstabilisés, et soient prêts à reprendre leur poste.
Quels sont les conseils donnés pour parler des derniers évènements aux enfants ?
Marie-Christine Garin : Dans son domaine d’enseignement, chaque inspecteur propose aux professeurs une façon d’aborder le sujet tout en faisant très attention à rester neutre et à éviter les groupes de parole afin de ne pas confronter des enfants qui pourraient avoir été de chaque côté de la barricade, avec tout ce qu’il y a comme endoctrinement d’une jeunesse. L’idée est plutôt d’orienter individuellement vers la cellule d’écoute qui sera instaurée dans les établissements pour que les enfants puissent avoir un espace de parole. Les psychologues ont établi un document sur la façon de parler à un élève qui pourrait être agressif, comment éviter de surenchérir, quelles attitudes adopter…
Comment faire face à des affrontements entre élèves s’il devait y en avoir ?
Maryline Rodes : Les équipes sont habituées à gérer des conflits. Nous ne tolèrerons ni violences, ni agressions verbales… Il existe un règlement intérieur, des conseils de discipline.
Marie-Christine Garin : Une vigilance particulière sera apportée à l’organisation de la rentrée au niveau des abords des établissements.
Craignez-vous que la situation favorise le décrochage scolaire ?
Marie-Christine Garin : Nous nous y attendons, oui. Les équipes devront faire beaucoup de phoning pour savoir où sont les enfants, ce qui fait blocage au retour, s’ils sont blessés, s’ils ne veulent pas revenir ou si ce sont les parents qui ont peur de les remettre, si c’est une question de transport, etc. Il faudra lever les appréhensions et rassurer les parents. Si on avait un message à leur faire passer, c’est de nous faire confiance, de renvoyer les enfants à l’école parce que c’est là qu’ils auront un sas de sécurité, qu’ils retrouveront des repères, et pourront évacuer ce qu’ils ont subi ou mis à exécution, les violences, les addictions dont ils ont aussi été victimes. Et il faut que les parents nous préviennent s’ils voient que leur enfant est encouragé à retourner dans la rue par des personnes sur les réseaux sociaux, s’ils sont harcelés ou qu’ils ont des idées noires, afin qu’on puisse les aider.
La santé des élèves est-elle un point d’attention particulier ?
Marie-Christine Garin : Nous voyons comment organiser l’infirmerie différemment, parce qu’il pourrait y avoir beaucoup d’enfants en même temps. Après cette longue pause, nous nous assurons d’avoir le matériel nécessaire pour une éventuelle grossesse non désirée, faire des tests d’addictologie, ou tout simplement soigner, parce qu’il va y avoir des plaies.
L’apprentissage devrait mettre du temps à reprendre normalement, qu’est-il prévu en attendant ?
Maryline Rodes : L’idée est de prendre quelques jours pour que les choses se remettent en place. Cela se fera à l’appréciation des chefs d’établissement en fonction de l’endroit où il se trouve. Entre les Îles et Rivière-Salée, ce n’est pas la même réalité. Les inspecteurs d’arts plastiques et de sport ont proposé beau- coup d’activités de cohésion pour permettre aux enfants de se retrouver, se réapproprier les lieux, revoir les copains. L’apprentissage viendra dans un second temps. Le premier objectif est de diminuer le stress et de ramener un climat scolaire apaisant pour se remettre en capacité d’apprendre.
Propos recueillis par Anne-Claire Pophillat