Ambassadeur de la Fête de la science 2025, le chercheur Colin de la Higuera, très impliqué dans le développement de l’intelligence artificielle au sein du système éducatif et de la recherche, anime plusieurs conférences, jusqu’au 13 octobre. Rencontre.
DNC : Vous expliquez qu’avec l’essor de l’IA, l’enjeu dans l’éducation n’est plus d’apporter des réponses, mais de savoir correctement poser des questions…
Colin de la Higuera : Oui. Pendant très longtemps, le rôle de l’éducation était de nous apprendre à donner des réponses. Lorsqu’une personne sortait de sa formation, elle savait en apporter, grâce à son métier ou sa spécialité. Aujourd’hui, quelqu’un qui ne saurait faire que cela serait en concurrence avec l’IA. Ainsi, dans le futur, il faudra davantage exercer notre esprit critique.
La façon de l’exercer se trouve, entre autres, dans le fait de poser les bonnes questions. Savoir le faire, c’est vraiment essentiel. Et ce n’est pas du tout trivial. On le voit déjà sur les enfants : certains sont très bons pour formuler des interrogations, alors que d’autres non.
On sent bien qu’il y a une différence sociale : dans certains environnements familiaux, les enfants sont encouragés à le faire. Dans d’autres, non. D’ailleurs, notre système scolaire n’est pas nécessairement toujours le meilleur pour inciter les enfants à en poser. Les Américains par exemple, valorisent ces pratiques en commençant souvent leurs phrases par « That’s an excellent question, that’s a very good question » [« C’est une excellente question, une très bonne question »]. C’est intéressant.
L’accès généralisé à l’IA ne risque-t-il pas de faire perdre le goût d’apprendre ?
C’est possible. C’est pour cela que je préconise absolument de discuter avec les étudiants, afin qu’eux-mêmes se demandent : « Pourquoi est-ce qu’on apprend ? ». Si le but est uniquement d’avoir de bonnes notes, nous avons presque intérêt à utiliser ChatGPT. Si l’objectif est de savoir donner les réponses, c’est la même chose. Donc, quelque part, à quoi cela me sert de m’encombrer de tout cela ?
À Nantes, j’organise des groupes de parole avec les étudiants. Ils disent apprendre en premier lieu pour le plaisir. Le plaisir d’apprendre, mais aussi le plaisir de savoir. Ils évoquent aussi une dimension très sociale : j’apprends, parce que j’aime apprendre en société, avec les autres. Il y a là quelque chose d’intéressant, puisque cela veut dire que si on met une personne devant un ordinateur avec une IA, cela ne va pas fonctionner. Apprendre en société, c’est aussi pour « être » en société par la suite. Si je veux avoir des discussions avec les gens, j’ai envie d’avoir des choses à dire. La réponse à cette question est donc non, à condition que l’on ait tous compris pourquoi on apprend.
Quel est le principal bénéfice de l’IA sur l’éducation ?
Ce qui est vraiment intéressant, à mon avis, c’est l’utilisation de l’IA par les étudiants eux-mêmes. Aujourd’hui, ils s’en emparent et inventent des façons de l’utiliser. Imaginons, par exemple, un cours un peu barbant, dans lequel le professeur utilise des mots qu’on ne comprend pas. Il leur suffit de faire appel à l’IA et lui demander : « Rends-moi ça plus compréhensible, avec des mots que je vais comprendre », ou de lui poser directement des questions sur le cours. On se retrouve avec une espèce d’intermédiaire entre le cours et nous, qui nous permet de mieux comprendre les choses. Au final, à chaque fois que l’IA est utilisée pour apprendre à ma place, c’est une catastrophe. Mais lorsqu’elle est utilisée pour aider à apprendre, elle peut être un très bon outil.
Vous animerez, lundi 13 octobre, une conférence sur les ressources éducatives libres (REL). À quoi correspondent-elles, et quels sont ses avantages ?
Ce sont des ressources partagées librement, de façon gratuite. Un professeur à l’origine d’un polycopié ou d’un manuel peut le partager à davantage de personnes que ses étudiants, s’il le souhaite, par exemple. Pour cela, il va en faire une ressource éducative et la publier sur le web. Il va la rendre libre, c’est-à-dire qu’il va lui donner ce qu’on appelle une « licence Creative Commons », ouverte à tous. Typiquement, un autre professeur situé de l’autre côté de la planète va pouvoir l’utiliser et se l’approprier afin de peaufiner son cours.
Ce schéma pourrait aller de soi, mais en réalité, il ne l’est pas. Aujourd’hui, 99,9 % du matériel pédagogique n’a pas de licence Creative Commons. Nous vivons dans un monde où il est dur de partager. Certains ont peur de se faire voler leurs ressources. Pour de nombreuses personnes, l’avantage des REL est énorme. Aujourd’hui, nous dépensons énormément d’argent sur les manuels scolaires, qui proposent des ressources qui existent déjà.
Ces bénéfices sont également importants dans plusieurs régions du globe, où les ressources manquent et où l’alternative est de les payer cher.
Cela peut aussi aider un étudiant qui cherche à avoir d’autres points de vue que celui de son professeur. Au final, cela conduit à tout un système de valeurs qui s’appelle l’éducation ouverte, c’est-à-dire une démarche consistant à diffuser plus largement les connaissances.
Propos recueillis par Nikita Hoffmann

