Fermetures de lits, départs de soignants, absence de perspectives sur les arrivées, possible gel des avancements… Gaston-Bourret affronte une crise sans précédent.
S’il n’est pas représentatif de l’ensemble des services, celui de pneumologie est symbolique de la situation dans laquelle se trouve le Médipôle. Une vague de départs de personnels soignants. Deux mois après le début des exactions, seul un pneumologue sur cinq y exerce toujours et 14 lits ont été fermés.
L’ophtalmologie aussi est désertée. Un seul professionnel sur quatre subsistera en novembre. Deux chirurgiens orthopédiques sur cinq quittent le territoire, cinq cardiologues sur douze. La neurologie pourrait connaître une pénurie à partir du mois de novembre, « ce qui va affecter la prise en charge des AVC », précise Thierry de Greslan, chef du service. Tous les pôles sont concernés. « Sur les 225 médecins de l’hôpital, 33 vont manquer en décembre, soit 15 % de déficit. En janvier, cela devrait passer à 20 %. »
Trente paramédicaux aussi sont partis. Le chiffre devrait grimper à 80 d’ici la fin de l’année. Chez les infirmiers ‒ de spécialité notamment (bloc, anesthésie, réanimation néonatale, etc.) ‒, bientôt les sages-femmes (sept sur 40 sont en partance), ainsi que les kinésithérapeutes. Sur sept, quatre ne pratiqueront plus au CHT en décembre. « Je ne sais pas comment on va faire, avoue Thierry de Greslan, également président de la commission médicale d’établissement (CME). L’offre de soins va vite se dégrader. »
« CONSÉQUENCES SANITAIRES CATASTROPHIQUES »
Le Nord et la Brousse, déjà fragilisés, subissent le même phénomène. « Dans les centres médico-sociaux, six postes de docteur sur 30 sont pourvus. Sur la zone de Poum, Touho, Ouégoa, 18 000 personnes vivent sans médecin. Les CHN de Koumac et Poindimié sont menacés de fermeture. » C’est le cas des urgences la nuit, qui ne fonctionnent plus depuis jeudi 1er août. Au CMS de Thio, les portes sont closes depuis mercredi 24 juillet, à la suite d’agressions de soignants.
Parallèlement aux problématiques de main-d’œuvre, une baisse d’activité d’environ 30 % est observée au CHT, dans les cabinets libéraux et sur l’ensemble du territoire. A contrario, le nombre de consultations aux urgences a augmenté et « il y a toujours autant d’hospitalisations, ce qui veut dire qu’il y a davantage de cas graves ».
Les professionnels de santé remarquent une certaine désaffection des patients. « Les gens sont malades mais ne consultent pas. » Et « la mauvaise observance des médicaments s’est accentuée ». Autant de facteurs qui affecteront une bonne prise en charge. « Nous constatons des retards de diagnostic sur les cancers », note Thierry de Greslan, qui redoute des « conséquences sanitaires catastrophiques », évoquant de possibles « décès de gens qui ne viennent pas se faire soigner ».
ÉCONOMIES ET RÉORGANISATION
La direction de l’établissement mène une réflexion pour « trouver les meilleures solutions » avec le gouvernement et la Cafat, afin de « s’adapter à ces besoins à venir », même si le neurologue insiste : « on ne s’en sortira pas sans l’aide de l’État, au moins de manière transitoire ».
Plusieurs pistes sont à l’étude : réduire les dépenses ‒ « faire des économies en urgence » ‒, rationaliser les médicaments, notamment ceux qui coûtent chers, et les examens ‒ « sans nuire à la santé des Calédoniens » ‒, fermer des activités non essentielles, réorganiser les unités, etc. « Jusqu’où pourra-t-on aller ? Pendant combien de temps ? », interroge Emmanuel Soria, infirmier en réanimation et élu du personnel UT CFE-CGC. « Chaque départ représente une difficulté supplémentaire, une charge de travail en plus. Les perspectives sont alarmantes, nous sommes très inquiets. »
Le gel des avancements est également cité. À manipuler avec précaution. « Trop toucher aux salaires risque de faire partir des gens, il faut faire attention, estime Thierry De Greslan. Il y avait des plaintes avant la crise sur les revenus qui ne correspondaient pas à ceux en Métropole. » Emmanuel Soria corrobore. « Ce n’est pas encourageant pour les agents dans ce contexte anxiogène. » En outre, des craintes pèsent sur le versement des salaires. « On a une visibilité jusqu’en août. Après, on n’est pas sûrs d’être payés. » Malgré tous ces obstacles, Thierry de Greslan se dit déterminé à « maintenir les services coûte que coûte. Nous allons nous débrouiller, nous battre ».
L’éventuel déploiement de la réserve sanitaire en Nouvelle-Calédonie a été mentionné lors de l’entretien entre Emmanuel Macron et les quatre parlementaires calédoniens (les députés Nicolas Metzdorf et Emmanuel Tjibaou, les sénateurs Georges Naturel et Robert Xowie) jeudi 25 juillet à Paris (lire page 5). Une solution temporaire onéreuse, explique Thierry de Greslan. « Cela coûte cher, est à la charge de l’hôpital, et dure trois semaines. En revanche, si l’État paye, comme pendant le Covid, nous sommes preneurs. » Le Médipôle a par ailleurs formulé des demandes pour faire venir des spécialistes : pneumologue, oncologue, urgentiste, etc.
Anne-Claire Pophillat