Christopher Gygès: « L’objectif est de retrouver l’équilibre des comptes publics et sociaux en 2028 »

« C’est mieux d’avoir un accord institutionnel, c’est mieux d’avoir de la visibilité », note Christopher Gygès. « Mais je suis convaincu que l’on doit aussi se prendre en main pour avoir un modèle économique qui n’est plus calqué sur le modèle national ». (© Y.M)

La conférence fiscale et sociale s’est achevée par la rédaction d’un projet d’accord-cadre actuellement soumis aux partenaires sociaux. Pour le membre du gouvernement Christopher Gygès, un nouveau modèle économique doit être bâti avec une forte valeur ajoutée par le travail.

DNC : La conférence fiscale et sociale n’a débouché sur aucune conclusion publique. Est-ce en raison de désaccords internes ?

Christopher Gygès : Non, pas du tout. Avant même la conférence, nous avions travaillé sur l’ordre du jour avec les partenaires sociaux. Il y a donc eu un travail de collaboration en amont. Ils m’avaient indiqué qu’ils auraient peut-être besoin d’un peu de temps après la séquence pour finaliser leurs travaux. Je l’ai toujours dit, la conférence peut durer quatre jours comme sept ou huit. Nous nous sommes vus lundi pour réfléchir sur un projet d’accord-cadre, qui leur a été envoyé par la suite.

Les partenaires sociaux ont jusqu’à lundi (5 mai) pour donner leur avis. Pendant les séances à huis clos, nous nous sommes dit des choses. Chacun a réussi à sortir, je crois, de son idéologie. J’espère que ce projet d’accord-cadre sera signé. Mais il faut parfois prendre un peu de temps pour cela.

L’idée de fond est de changer le modèle fiscal, social et économique. Vers quels objectifs ?

Sur la forme déjà, le fait de porter ensemble – partenaires sociaux et gouvernement – ces projets de réforme est important. Il est essentiel de montrer que la société civile et les collectivités sont en capacité de s’aligner et de faire preuve de responsabilité. De sortir de l’idéologie et faire preuve de pragmatisme pour voir ce qui marche. Sur le fond, c’est un nouveau modèle fiscal et social du travail, de la santé… qui doit être évalué et proposé. Mais c’est aussi tout un pan sur le pouvoir d’achat des Calédoniens, un élément extrêmement important qui est ressorti pendant la conférence.

Un pouvoir d’achat aujourd’hui en souffrance…

Il est en souffrance pour au moins deux raisons. Quand 11 000 personnes perdent leur emploi et d’autres sont au chômage partiel, le pouvoir d’achat est mécanique- ment affaibli. Nous avons donc vraiment voulu travailler sur les leviers facilitant la reprise de l’emploi, le maintien de l’emploi au sein d’une entreprise, la formation professionnelle en son sein, les dispositifs de reconversion… Nous avions réellement l’objectif à la fois que les gens retrouvent un emploi et que cet emploi soit mieux payé, soit par une hausse des salaires, soit par des dispositifs d’intéressement beaucoup plus incitatifs.

Quel est, au total, le besoin financier de la Nouvelle-Calédonie en prenant en compte le fonctionnement du Ruamm, le versement à Enercal, etc. ?

À la demande des partenaires sociaux, les besoins financiers de la Nouvelle-Calédonie sont annexés à l’accord. Car c’est l’un des objectifs premiers : retrouver l’équilibre des comptes publics et sociaux en 2028 avec une trajectoire de reprise de la consommation, avec une fiscalité dédiée… Le but est de fournir un scénario qui permette de retrouver la croissance nécessaire pour arriver à ces équilibres.

Cette trajectoire prend en compte les apports de l’État…

Cet objectif prend en compte tous les sujets, c’est-à-dire les économies de dépenses, le retour de la consommation et de la croissance, les différentes mesures que l’on prendra pour redynamiser l’ensemble… C’est l’un des objectifs majeurs de l’accord-cadre qui pourrait être signé avec les partenaires sociaux.

Vous avez annoncé le projet d’une exonération de charges patronales des réembauches jusqu’à la fin de l’année. Quel est le coût ? Vu la situation critique de la Nouvelle-Calédonie, comment compenser ?

Nous avons aujourd’hui une enveloppe dédiée au chômage dans le prêt de l’État. Nous en avons discuté avec les partenaires sociaux, on souhaite que cette enveloppe se transforme en enveloppe emploi qui permette de financer le dispositif. C’est-à-dire de rehausser le chômage partiel de droit commun pour maintenir les personnes dans l’emploi et inciter à la reprise d’activité, donc d’exonérer les charges patronales jusqu’à la fin de l’année – évaluées à 1,2 milliard de francs – mais aussi de rehausser le budget de l’alternance et financer des formations de reconversion pour les salariés. Cette action ne coûte pas plus cher que ce que nous avions prévu pour l’augmentation du budget chômage. C’est notre philosophie : on ne souhaite pas financer du chômage, on souhaite faire retourner les gens dans l’emploi.

Un pari ambitieux parce que si la mécanique est grippée dès le départ…

C’est notre pari. C’est un pari de reprise de l’activité. C’est un pari aussi risqué que d’aller rehausser le chômage de droit commun et de ne pas inciter les gens à la reprise du travail. On le dit aujourd’hui : on veut financer des dispositifs de maintien et de retour vers l’emploi. La priorité, c’est de retourner au travail.

Les entreprises doivent ensuite jouer le jeu…

Je pense qu’elles le joueront. J’en suis convaincu. Elles ont tout intérêt à le faire.

Une révision de la TGC est-elle envisageable ? Avec un abaissement du nombre de taux ?

La TGC a été abordée à travers différents scénarios de réforme. L’application ne sera faite que si un accord est signé. En fait, la réforme de la TGC s’appréhende de façon globale. Une réforme pour financer ou non la santé, augmenter ou non les salaires, etc. Les syndicats doivent aller vers leur base avec ces éléments.

Une retouche de l’impôt sur les sociétés est-elle prévue cette année ?

La question de l’impôt sur les sociétés revient à poser la question de l’attractivité et du dynamisme de la Nouvelle-Calédonie. Là encore, différents scénarios ont été proposés, dont l’un figure dans l’accord. Ma logique personnelle est celle-ci : je considère qu’il faut baisser la pression fiscale sur les entreprises qui sont installées en Nouvelle- Calédonie.

En revanche, il faut mettre en place des systèmes qui permettent de taxer davantage les entreprises qui n’ont pas leur siège social en Nouvelle-Calédonie et qui viennent exercer. De même a été abordée la révision de la convention fiscale franco- calédonienne, car nous perdons aujourd’hui entre 2 et 2,5 milliards de francs de recettes en raison d’une mauvaise articulation des compétences fiscales.

Après l’annonce de l’audit sur les protections de marché, vous avez évoqué une étude sur les marges de la grande distribution. Comment sera-t-elle menée ?

J’ai sollicité auprès de l’Autorité de la concurrence une étude sur les marges de la grande distribution, pas uniquement en Nouvelle-Calédonie, mais sur toute la chaîne des marges, avec les centrales d’achat et autres. C’est faisable. Ma logique est d’aider les entreprises, mais je souhaite qu’il y ait toute la transparence.

Les mesures fiscales envisagées correspondent-elles aux conditions posées par l’État pour l’obtention du prêt de 120 milliards de francs ?

Il y a une partie « réforme du système du modèle calédonien » dans les conditions de l’État. Je considère que ce sera notre contribution. Parce que cette partie réforme ne peut pas se faire sur un coin de table. Elle doit être faite en discussion avec les partenaires sociaux et, ensuite, en lien avec le Congrès.

L’ouverture de l’OPT à la concurrence pour le réseau téléphone mobile est-elle réellement en vue ?

On ne peut pas demander au secteur privé d’avoir moins de monopoles et de ne pas se l’appliquer à nous-mêmes, au secteur public. Je pense que l’OPT ne peut pas s’ouvrir comme ça, du jour au lendemain. La question est : comment prépare-t-on l’OPT ? Parce qu’un jour, l’OPT s’ouvrira. Le nier, c’est mettre en danger l’établissement. Le statut de l’OPT est-il encore le bon ? Des métiers doivent- ils encore figurer dans le service public ? Je considère que l’OPT est un outil important pour la politique publique en Nouvelle- Calédonie. Il faut le maintenir, et pour cela, il faut faire des réformes à l’intérieur qui préparent à l’ouverture.

Propos recueillis par Yann Mainguet