Christophe Dabin : « Dans le sport, nous sommes résilients »

Christophe Dabin est actuellement en Polynésie afin de préparer les Jeux du Pacifique en 2027. (© F.D)

Après une année sans championnats, les ligues préparent leur nouvelle saison dans des conditions dégradées. Président depuis 2020 du Comité territorial olympique et sportif (CTOS) de Nouvelle-Calédonie, Christophe Dabin fait face à une baisse des financements, mais reste persuadé que le monde associatif a les capacités de rebondir.

DNC : 2024 a été une année difficile d’un point de vue financier. Comment s’annonce 2025 ?

Christophe Dabin : Avant l’aspect financier, l’année 2024 a vraiment été difficile avec l’arrêt de l’activité. Il n’y a aucune discipline qui n’a pas connu un arrêt de compétitions, de championnats… Il a fallu reprendre et ça n’a pas été facile. Je pense que 2025 va être extrêmement délicate. Pour les ligues, les comités, les fédérations et le CTOS, c’est la Nouvelle-Calédonie qui aide en grande partie. Et puis après, il y a une partie financement de l’État. Et sur la partie Nouvelle-Calédonie, on est dans l’attente. Aujourd’hui, fin janvier, je suis incapable de vous dire vers quoi on tend.

L’État a-t-il apporté des fonds ?

L’année dernière, l’Agence nationale a été le premier financeur du sport en Nouvelle- Calédonie. En 2025, on ne sait pas quel montant on va recevoir, surtout que dans l’Hexagone le budget pour le sport a diminué de 30 %. Si l’ANS continue, ça permettra de financer. Mais si l’ANS descend, ce sera délicat pour l’ensemble des disciplines.

Est-ce que ce manque de subventions a eu un impact sur le fonctionnement du CTOS ?

Au CTOS, nous avons pris des dispositions qui nous ont permis de ne pas être touchés par cette situation. Mais sur l’ensemble des ligues et des comités, ceux qui avaient des salariés se sont retrouvés en grande difficulté. Si on n’a pas de salarié, tout repose sur les bénévoles et je ne vous cache pas qu’on a eu des bénévoles qui ont un peu baissé les bras.

Avez-vous constaté une baisse du nombre de bénévoles ?

Nous avions déjà une certaine crise du bénévolat. On s’est rendu compte, quand on a fait une étude l’année dernière, que la majorité des bénévoles était assez âgée avec des gens qui sont là depuis 10, 12, 15 ans. Mais on a malgré tout une nouvelle vague de jeunes bénévoles qui arrive. Heureusement, le découragement a été passager parce que dans le sport, on est résilient. Et donc on reconstruit.

Y a-t-il eu des pertes de pratiquants ?

On avait fini l’année 2023 avec un peu plus de 52 000 licenciés. On sait très bien qu’on va avoir une baisse de licenciés pour 2024. On n’a pas les chiffres parce qu’on est obligé d’attendre la fin de l’année pour demander aux ligues de transmettre les chiffres validés. J’ai été à trois assemblées générales. Aujourd’hui, sur trois ligues, je n’en ai qu’une qui a perdu des licenciés : le cyclisme, qui n’a pas organisé Au Tour d’Elles, et le cyclotourisme. Donc les gens n’ont pas pris leur licence.

Des infrastructures ont été détruites durant les émeutes. Comment les clubs s’organisent-ils ?

Il y a deux types de destruction. Les deux murs d’escalade ont été détruits : automatiquement, l’activité est à néant. On a prévu d’organiser une réunion avec l’ensemble des collectivités dans deux semaines pour trouver une solution. Ensuite, des infrastructures ont subi quelques dégâts, sans que cela bloque l’activité.
Aujourd’hui, à part le bowling et l’escalade, le reste des disciplines a repris. Il y a eu des aménagements qui ont été faits par la commune de Nouméa pour trouver des lieux d’activité aux clubs touchés. Sauf qu’il va falloir que chacun s’organise et modifie un petit peu les plannings des championnats pour que tout le monde arrive à trouver son compte.

Est-ce que des projets de reconstruction ou de rénovation sont prévus ?

Sur les grandes infrastructures, il y a un projet qui est porté par la ligue d’escalade. C’est pour ça qu’on va l’accompagner. La salle de bowling, c’est une structure commerciale, donc c’est plus délicat. Sur les petites destructions, les communes sont intervenues pour faire les travaux et les clubs se prennent en charge.

Le Centre international sport et expertise (Cise) à Dumbéa a accueilli des forces de l’ordre. Est-ce toujours le cas ?

Le Cise est occupé par les gendarmes depuis juin. On a fait le point avec l’ensemble des disciplines qui étaient hébergées toute la semaine au Cise pour savoir ce qu’elles voulaient faire. Elles ont trouvé une autre solution pour l’instant. Finalement, nous n’avions que deux athlètes susceptibles de revenir à la rentrée. La situation sportive, financière et économique de chacun fait qu’on n’aurait pas de remplissage. Or, il y a besoin d’héberger des gendarmes et j’ai un financement qui arrive. Ça m’a permis de sauver tous les emplois au Cise.

L’image de la Nouvelle-Calédonie a été écornée à l’étranger en termes de sécurité. Est-ce que des athlètes extérieurs veulent bien venir chez nous ?

Aujourd’hui, avec la perte de financement, une discipline ne pourrait pas se permettre d’organiser une compétition internationale. L’objectif des ligues est plus de relancer l’activité et d’arriver à faire des petits déplacements dans la région. Le Challenger de tennis a, malgré tout, montré qu’il y a encore un engouement. Ça pourrait donner une nouvelle image de la Nouvelle-Calédonie.

« Aujourd’hui, sur les drapeaux,
c’est très délicat. J’ai déjà été interpellé X fois par des athlètes. On se laisse un temps
de réflexion. »

Les championnats à l’extérieur servent à améliorer les performances. Comment les financer ?

Ça fait des années que le monde sportif ne veut plus être tributaire des décisions des politiques. Nous ne sommes pas des mendiants. On ne peut pas toujours faire reposer notre financement sur les subventions. Quand il n’y a pas d’argent, c’est le sport le premier touché. On nous parle de sponsors et de mécènes, mais vu la situation économique, c’est plus difficile. Ça amène les ligues à revoir leur fonctionnement. Plutôt que faire un déplacement en France où je vais être dans la quatrième série, je vais aller en Australie. Ça va revenir quatre à cinq fois moins cher, je vais peut-être pouvoir amener plus de jeunes et ce sera plus intéressant.

Les Mini-Jeux du Pacifique Sud se dérouleront à Palau en juillet. La Nouvelle- Calédonie pourra-t-elle y participer ?

Pour nous, les Mini-Jeux de Palau étaient une étape importante dans le cadre de la préparation des Jeux du Pacifique de 2027. Les disciplines qui vont à Palau, on va les retrouver à Tahiti. C’était l’objectif et il reste le même. Il n’est pas entendable pour le CTOS de ne pas être présents à ces Mini-Jeux. Quoiqu’il arrive, on aura une délégation, que ce soit de 5, de 20 ou de 50 athlètes, cela dépendra des financements.
On aurait pu aller jusqu’à 220 athlètes. Vu la situation, on est revenu en arrière. On a pris la situation intermédiaire. Si on a le financement, on ne part qu’avec un charter, ça veut dire 85 athlètes.

Est-ce que vous pensez que la délégation sera aussi moins importante aux Jeux du Pacifique de Tahiti en 2027 ?

Non, parce que les Jeux du Pacifique restent un événement extrêmement important pour le monde sportif calédonien. Si on va à Tahiti, il est hors de question de venir avec une délégation moindre. Ça nous laisse deux ans et demi pour voir avec les institutions comment on organise le déplacement.

Ne craignez-vous pas que les difficultés des derniers mois puissent affecter les performances des athlètes ?

Si, quand même. La préparation, qui avait commencé pour certains en avril, a été mise à mal pendant toute cette période. Est-ce qu’un peu plus de six mois d’arrêt aura un impact ou pas ? Je ne dis pas oui ou non.Je me dis comment, à partir d’aujourd’hui, les disciplines vont agir ? On a peut-être perdu six mois, mais on n’a pas tout perdu.

Il était question que les Jeux reviennent en Nouvelle-Calédonie. Est-ce toujours dans votre tête ?

On a mis en place depuis la fin de l’année dernière un groupe de travail pour les Jeux olympiques de Brisbane 2032 afin de voir comment la Nouvelle-Calédonie peut s’impliquer. Ça nous permet de pouvoir se proposer comme terre d’accueil et de préparation. Et pourquoi on le fait ? Si on arrive à faire venir des équipes en Nouvelle-Calédonie avec des infrastructures de qualité, c’est parce que nous visons les Jeux de 2035.

Avec l’instabilité politique et les problèmes de financement, le projet est-il remis en cause ?

Pas pour l’instant. Il nous reste dix ans. Mais vous avez raison. Comment voulez-vous qu’on prépare quelque chose si l’avenir institutionnel n’est pas clair ? Personne ne votera pour nous et on n’aura pas les financements. L’État ne va pas s’amuser à payer et mettre en place des infrastructures si, à un moment ou à un autre, une décision politique est prise.
On s’est posé la même question entre nous. Mais c’est important de se fixer des objectifs, des challenges. Et je pense qu’aujourd’hui, on a besoin de défis à relever.

Est-ce que vous craignez un départ de sportifs vers l’extérieur ?

Il n’y a pas de départ. On a toujours des jeunes qui partent à l’extérieur parce que si vous voulez performer, vous êtes obligés de partir. La seule chose qu’on a pu voir aujourd’hui, c’est que pas mal d’athlètes partent beaucoup plus jeunes vers l’Hexagone parce qu’ils ont envie de réussir. Au lieu d’attendre 15, 16 ou 17 ans, certains partent à 14 ans.

Nicolas Metzdorf a demandé à l’État un éclaircissement sur la présence du drapeau du FLNKS lors des manifestations sportives. Quelle est la position du CTOS ?

Joker ? [rires] Ces signes identitaires, ce n’est pas la première fois qu’on en parle. À l’issue des Jeux de Saipan [aux Mariannes du Nord] en 2022, on avait été interpellé, non pas sur les drapeaux, parce que les drapeaux ne posaient pas problème. C’était sur l’hymne. Aujourd’hui, sur les drapeaux, c’est très délicat. J’ai déjà été interpellé X fois par des athlètes. On se laisse un temps de réflexion. Mon objectif, en tant que président du CTOS, c’est de garder l’unité du mouvement sportif. Revenir en arrière, c’est difficile. Quand les deux drapeaux ont été levés pour la première fois sur le stade Numa-Daly aux Jeux de 2011, ce n’était pas deux personnes qui portaient chacun un drapeau, c’était deux drapeaux qui étaient joints. Quand on va aux Jeux, on représente la Nouvelle-Calédonie avec sa diversité, ses spécificités, ses convictions politiques et religieuses. C’est ça qui fait la force du mouvement sportif. On est capable de se réunir quand on a un objectif commun, ce que tout le monde n’a pas compris aujourd’hui.

Le sport porte de nombreuses valeurs, notamment dans la formation des jeunes. Son rôle dans la société est-il assez pris en compte dans la reconstruction ?

Nous avons adopté fin novembre le PST, le projet sportif territorial. L’élaboration avait commencé fin 2023. Suite aux événements, j’ai demandé de rajouter des actions spécifiques qui permettaient de refonder et de reconstruire par le sport.
On a une action Du sport dans mon quartier, on a réhabilité deux anciennes salles dont une à Jacarandas et l’autre juste à côté de l’Origin Cinéma. Celle de Jacarandas permet- tait d’accueillir tous les enfants du quartier en boxe, karaté, judo et haltérophilie avec une activité gratuite. Même si c’était un coin qui était très chaud, elle a tenu six semaines. C’est au moment où il y a eu une intervention des forces de l’ordre, où il y a eu un mort dans ce secteur, que cette salle a été entièrement vandalisée. Mais les travaux vont être repris. C’est pas mal de petites actions comme ça. Si nous ne mettons pas en place des actions qui permettent de former des personnes de proximité, que ce soit dans le domaine du sport, de la jeunesse, de la culture ou des arts, on se retrouvera dans la même situation.

Propos recueillis par Nikita Hoffmann et Fabien Dubedout