La remise en liberté sous conditions du porte-parole de la CCAT, également président du FLNKS, représente un épisode déterminant dans les futures négociations sur le statut du territoire.
La libération du leader indépendantiste Christian Tein, jeudi 12 juin au soir, heure de Métropole, constitue un fait judiciaire avec d’importantes répercussions politiques.
Sur ordre de la cour d’appel de Paris, le porte-parole de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) et président du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), détenu depuis près d’un an, a quitté la prison de Mulhouse-Lutterbach dans le Haut-Rhin. Sa sortie de l’établisse- ment pénitentiaire est accompagnée d’un contrôle judiciaire, comme il a également été ordonné pour d’autres membres de la CCAT : Dimitri Qenegei, Erwan Waetheane, Guillaume Vama et Steeve Unë.
Cette annonce a immédiatement suscité des réactions très contrastées. Comme le rappelle l’AFP, Christian Tein a toujours nié avoir appelé à commettre des violences à partir du 13 mai 2024 à Nouméa et dans les communes périphériques, « mais demeure mis en examen pour complicité de tentative de meurtre et destruction en bande organisée ». Le FLNKS s’est dit « satisfait du traitement impartial de la justice ».
Pour le député et président de l’UC, Emmanuel Tjibaou, et son collègue de parti, le sénateur Robert Xowie, « cette libération est une victoire (…) pour nous permettre de faire toute la lumière sur les événements dramatiques qui se sont passés en mai 2024 ».
Les mouvements Les Loyalistes et Rassemblement-LR ont évidemment livré une tout autre analyse, après avoir exprimé « leur plus vive indignation ». Le doigt est même pointé vers « la coupable faiblesse d’une justice métropolitaine manifestement indifférente à l’ampleur des souffrances que nous avons endurées ». Calédonie ensemble a appelé à la raison et au respect de l’institution judiciaire. « Oui, justice doit être rendue », toutefois « la justice, ça n’est pas la loi du talion ».
« PRÉSENCE INDISPENSABLE »
Au-delà du constat et des joutes politiciennes, la remise en liberté de Christian Tein sous conditions ‒ interdiction de se rendre en Nouvelle-Calédonie et d’entrer en contact avec des personnes impliquées dans le dossier ‒ a un impact politique. Et ce, surtout à l’aube d’une rencontre, qualifiée de « sommet » en coulisses, autour du président de la République, Emmanuel Macron, début juillet à Paris, pour la recherche d’un accord sur l’avenir institutionnel du territoire.
Déjà, la libération du leader de la CCAT éteint une revendication du FLNKS. Ce qui peut favoriser un climat de dialogue avec l’État. Le Front est même allé plus loin au cours de son 44e congrès les samedi 25 et dimanche 26 janvier à la tribu de Saint- Louis au Mont-Dore, en inscrivant dans la motion de politique générale : « La présence du président du FLNKS est indispensable dans la séquence de négociations. » Encore faut-il que Christian Tein, malgré sa mise en examen, soit convié autour de la table par le président de la République et que, sur le fond, comme le réclament les indépendantistes, le projet de Manuel Valls axé sur une souveraineté avec la France soit la base des discussions. Toutefois, le locataire de l’Élysée a indiqué vouloir un « projet nouveau » pour la Nouvelle-Calédonie, après l’échec du « conclave » de Deva, début mai, avec le ministre des Outre-mer. Est-ce une « nouvelle » version du document présenté à Bourail… Nulle précision ne circule à ce stade.
« GRAIN DE SABLE »
Si tous les feux passent au vert du côté de la coalition indépendantiste, si Christian Tein peut siéger à la table des négociations, alors « il y aura un grain de sable dans l’engrenage », souffle un cadre pro-français. Autrement dit, il y a fort à parier que Les Loyalistes et Rassemblement-LR ne participent pas à la concertation parisienne. Selon un observateur de la vie politique, cette présence de la figure de la CCAT pourrait « servir de prétexte » à ces deux organisations loyalistes pour décliner l’invitation, car certains membres ne seraient pas disposés à des concessions, sources potentielles de reproches de la part de leur électorat, et souhaiteraient surtout aller droit aux élections provinciales.
Une phrase du communiqué signé des Loyalistes et Rassemblement-LR, vendredi 13 juin, laisse d’ailleurs entrevoir une option. « Nous savons que les décideurs d’aujourd’hui ne seront pas ceux de demain et que notre patience sera récompensée. » Sonia Backes, Virginie Ruffenach et leurs amis attendent-ils un renversement du gouvernement Bayrou sous le coup d’une motion de censure et l’arrivée d’un exécutif plus ferme à leurs yeux ?
Emmanuel Macron ne prendra pas de risque non calculé, pour au moins deux raisons. Un nouveau revers après l’échec de Deva serait malvenu, et le président de la République espère certainement un rebond politique personnel à travers un accord sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.
« Il n’y aura pas d’accord signé sans l’avis de Christian Tein, analyse un élu indépendantiste, parce qu’il est le président du FLNKS et parce qu’il fédère le nouveau format du Front » avec neuf composantes. Le porte-parole de la CCAT peut conseiller de l’extérieur. Sa réflexion devra néanmoins concorder avec celle d’Emmanuel Tjibaou, chef de la délégation FLNKS lors des récentes visites de Manuel Valls.
Yann Mainguet